Nous tenons à apporter notre point de vue concernant diverses études qui visent de manière spécifique l’impact du silure sur les espèces amphihalines en particuliers. Il est bien plus facile d’accuser une espèce qui, à tort, a mauvaise presse en partie à cause de sa taille et de sa « sale gueule ».
Prenez le temps de lire cette analyse :
- Un argument phare, le silure consommerait 50% de poissons migrateurs (1) :
Les analyses isotopiques réalisées sur les contenus stomacaux des silures lors des différentes études sont incapables d'identifier ni les espèces proies ni le moment où telle proie a été ingérée, avant ou après sa reproduction, avant ou après sa mort. Épidor (2) reconnaît que « ces analyses ne permettent ni de différencier les espèces (la consommation de lamproie, d’alose, de saumon ou de mulet ne peut être discriminée) ni de déterminer si les proies ont été consommées vivantes ou mortes ».
- Le silure aurait consommé 80% des lamproies marquées (3) :
Les radio-pistages des lamproies réalisés ont livré des résultats attendus. Pêchée par un engin non défini, manipulée, conservée jusqu'à 3 jours dans des conditions non définies, puis laparotomisée (un acte chirurgical consistant en l'ouverture de l'abdomen par une incision laissant le passage direct à d'autres actes chirurgicaux sur les organes abdominaux et pelviens), transpercée par un trocart (instrument chirurgical qui se présente sous la forme d'une tige cylindrique creuse, pointue et coupante à son extrémité et surmontée d'un manche), équipée de trois corps étrangers (4) dans l'abdomen et affublée d'un spaghetti externe sur la dorsale, tout cela sous anesthésie à l'air libre pendant une durée non précisée, la lamproie à peine « réveillée » (une ½ heure) est relâchée à la merci des prédateurs. Les auteurs de cette étude s'étonnent que 75% des lamproies ainsi maltraitées aient pu être prédatées relativement vite, la moitié dans les huit jours, et évoquent seulement la responsabilité éventuelle des conditions hydrologiques dans cette hécatombe.
- Une grande partie des bulls d’aloses seraient attaquées (5) :
Des études vidéos montrent des silures attaquant en pleine nuit des aloses en train de se reproduire en surface. Dans le monde entier, quantité de prédateurs (mammifères, oiseaux, cétacés, poissons, invertébrés) profitent des rassemblements de géniteurs pour se nourrir. Chez nous, les barbeaux ou les poissons chats par exemple se régalent des pontes, mais pas d'étude à ce sujet.
Les grandes aloses et lamproies retrouvées dans les estomacs des silures ont pu être avalées après leur mort accidentelle (turbine) et surtout naturelle, puisque ces espèces dites « sémelpares » meurent presque systématiquement une fois la reproduction effectuée. L'article paru dans Aquatic Ecology (6) annonce que « ces travaux démontrent que la prédation du silure européen doit être considérée comme un facteur significatif de mortalité de l'alose ». Cette affirmation n'est pas validée puisque ces aloses ont pu n'être prédatées qu'après avoir accompli tout ou partie de leur unique période reproductrice, période qui est presque systématiquement suivie ou interrompue par l'agonie du géniteur puis, en quelques jours, par sa mort, situation qui intéresse forcément le silure « volontiers nécrophage ».
- Les vrais sujets qui devraient être étudiés :
Il ressort de toutes ces études complexes que l'étude la plus simple, la plus immédiate, qui ne nécessite qu'un scalpel et une loupe binoculaire pour examiner l'état des gonades des aloses ingérées et qui serait admise par tous, n'a toujours pas été faite alors que le matériel d'étude nécessaire, à savoir des centaines d'estomacs de gros silures sacrifiés, a déjà été rassemblé plusieurs fois malheureusement.
Le financement de ces publications qui se succèdent sur le silure n'est jamais expliqué. Tout au plus, devons-nous lire au terme des publications que « « les auteurs déclarent ne pas avoir de conflit d'intérêts » alors que l'un des auteurs du papier « Un festin de géants » est membre de « l'Institut des Milieux Aquatiques » (IMA), une association toute entière dévolue au service de la pêche professionnelle.
L'administration et les scientifiques devraient déployer autant d'efforts pour établir une liste des causes actuelles du déclin de la lamproie marine et de la grande alose par ordre de responsabilité, pour s'attaquer aux problèmes prioritaires.
Seulement 4 à 19 % des grandes aloses parviennent à passer les 3 obstacles du Bergeracois (7).
Les dégâts occasionnés par le refroidissement de la centrale du Blayais ne doivent pas rester au fond d'un rapport d'EDF, que seul MEDIAPART (8) a eu le mérite de faire connaître et doivent être évalués par des scientifiques indépendants. Quelle est la biomasse d'alose correspondant aux 8,8 tonnes d'alosons aspirés et détruits chaque année par la centrale, en sus de la tonne d'aloses adultes détruites par les turbines ?
L'omerta sur les captures accidentelles en mer et en rivière doit être brisée et les scientifiques doivent estimer les dégâts correspondants, le long de nos côtes, dans nos estuaires et nos rivières par un arsenal toujours plus important de filets, fixes et dérivants, déployés le long des trajets séculaires des grands migrateurs. Et avec des études publiques, et non camouflées, comme cela a déjà été le cas pour le saumon de l'Adour (9).
On oublie, entre autres, les services écosystémiques que rend chaque espèce. Le silure contrôle sa propre population, celle des écrevisses américaines mais aussi celle des poissons-chats qui avaient envahi la Garonne et qui peuvent se nourrir sur des pontes. La disparition de l'esturgeon, hôte intermédiaire fondamental du cycle de vie de la grande mulette, est catastrophique pour ce bivalve d'eau douce en danger critique d'extinction qui jadis vivait une partie de son cycle enkysté aux branchies du grand poisson : or, aux côtés de l'épinoche et de la lamproie marine, le silure qui assume aussi ce rôle pourrait être un espoir pour la grande mulette.
Enfin, la pandémie COVID19 a été l'occasion d'une expérience grandeur nature exceptionnelle : les hommes et leurs filets ont été confinés pendant une bonne partie de la période de montaison 2020 et le nombre de grandes aloses qui ont franchi les stations de comptages sur le bassin Garonne-Dordogne a explosé, en dépit de la présence des silures.
Les réelles intentions sur le silure sont dévoilées page 26 d'un rapport remis au gouvernement fin 2015 pour développer la pêche professionnelle en eau douce (10) :
« Transformer la nuisance que représente la présence du silure glane et de l’écrevisse de Louisiane en nouvelles opportunités économiques. La mission considère qu’il faut désormais rechercher de manière pragmatique et résolue à transformer la présence négative de ces espèces en une opportunité économique qui permette de les réguler grâce à leur valorisation. Le cas du silure glane est particulièrement intéressant. Un nombre croissant d’individus de cette espèce atteint désormais des tailles très importantes pouvant dépasser les 2,30 mètres de longueur. »
(1) Syva¨ranta J, Cucherousset J, Kopp D et al (2009) Contribution des poissons anadromes au régime alimentaire du poisson-chat européen dans un grand système fluvial. Naturwissenschaften 96: 631–635. https: // doi. org / 10.1007 / s00114-009-0511-3 Études des interactions du Silure glane (Silurus glanis) avec l’ichtyofaune métropolitaine, Nicolas GUILLERAULT, Sébastien DELMOTTE Nicolas POULET et Frédéric SANTOUL Juillet 2015, page 35 (2) Étude du Silure sur la Dordogne Synthèse des résultats des 4 premières années (avril 2012 – juillet 2016), Épidor, page 16 https://www.eptb-dordogne.fr/.../resume_etude_silure-4ans... (3) Suivi de la lamproie marine sur le bassin de la Dordogne et de la Garonne Année 2019 L. Carry . D. Filloux ; O. Menchi ; M. Burguete ; E. Meyer (4) Radio émetteur ATS 1815C de 36 x 12 mm et 8 grammes (radio) Émetteurs acoustiques VEMCO V5D de 12,7 x 5,6 mm et 0,68 grammes (prédation) Pit tag TIRIS de 30 mm x 4 mm (passe à poisson) (5) Boulêtreau, S., Fauvel, T., Laventure, M. et al. “The giants’ feast”: predation of the large introduced European catfish on spawning migrating allis shads. Aquat Ecol (2020). https://doi.org/10.1007/s10452-020-09811-8 (6) Boulêtreau, S., Fauvel, T., Laventure, M. et al. “The giants’ feast”: predation of the large introduced European catfish on spawning migrating allis shads. Aquat Ecol (2020). résumé https://doi.org/10.1007/s10452-020-09811-8 (7) Outil d’aide à la compréhension des enjeux environnementaux de la vallée de la Dordogne et de la Maronne , DREAL, mars 2014, page 22 https://www.eptb-dordogne.fr/.../2014-02_rapport_enjeux... (8) Des millions de poissons pris au piège des centrales nucléaires en France https://www.esperanza21.org/.../Biodiv_nucleaire%20... (9) Prouzet P., 2001 - Rapport sur les prises de salmonidés en zone côtière du Pays Basque et du Sud des Landes en 2000. Rapport IFREMER/DRV/RH. Contrat DIREN-CG 64, 46 pages. Popovsky J., 2002. Prises des salmonidés migrateurs en zone côtière du Pays Basque et du sud des Landes 2001, Rapport de campagne IMA, 36 p. (10) Propositions pour une politique de maintien et de développement de la pêche professionnelle en eau douce. Rapport n° 010030-02 établi par Thierry Boisseaux, Décembre 2015 https://www.vie-publique.fr/.../rapport/pdf/164000120.pdf