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MILIEUX AQUATIQUES

JUGEMENT DU CONSEIL D'ETAT N° 449788 le 20/03/2023 SUR LA PRESERVATION DES DAUPHINS

Jugement du conseil d'Etat

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Conseil d’État

N° 449788 ECLI:FR:CECHR:2023:449788. Publié au recueil Lebon 3ème - 8ème chambres réunies M. Nicolas Jau, rapporteur Mme Marie-Gabrielle Merloz, rapporteur public

Lecture du lundi 20 mars 2023 REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu les procédures suivantes :

1° Sous le n° 449788, par une requête et trois nouveaux mémoires, enregistrés les 16 février 2021 et 28 juillet, 19 août et 29 novembre 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, l’association France Nature Environnement demande au Conseil d’Etat :

1°) d’annuler pour excès de pouvoir la décision du 18 janvier 2021 par laquelle la ministre de la mer a rejeté sa demande d’adopter des mesures complémentaires visant à réduire les captures accidentelles de dauphins communs dans le golfe de Gascogne pour l’hiver 2020-2021 ;

2°) d’enjoindre à l’Etat de verser à l’instruction la lettre de mise en demeure de la Commission européenne datée du 2 juillet 2020 et ses annexes ainsi que l’intégralité de l’avis motivé daté du 15 juillet 2022 ;

3°) d’enjoindre à l’Etat de prendre des mesures visant, d’une part, la fermeture spatio-temporelle des pêcheries concernées par les risques les plus importants de captures accidentelles de petits cétacés dans le golfe du Gascogne en interdisant, du 15 janvier au 15 mars, pendant cinq années, la pêche au chalut pélagique, au chalut à grande et très grande ouverture verticale et au filet maillant, et d’autre part, le renforcement de

la surveillance de ces pêcheries par la présence d’observateurs embarqués sur au moins 5 % des navires concernés ;

4°) à titre subsidiaire, d’enjoindre à l’Etat de prendre des mesures de fermeture spatio-temporelle de nature à réduire la mortalité des petits cétacés à un niveau inférieur à celui défini par le Conseil international pour l’exploration de la mer (CIEM), à savoir 1 % par an de la population totale de dauphins communs dans le golfe de Gascogne ;

5°) de mettre à la charge de l’Etat la somme de 3 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

2° Sous le n° 449849, par une requête et un nouveau mémoire, enregistrés les 17 février 2021 et 1er juillet 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, l’association Défense des milieux aquatiques demande au Conseil d’Etat :

1°) d’annuler pour excès de pouvoir l’arrêté du 24 décembre 2020 de la ministre de la mer modifiant l’arrêté du 17 janvier 2019 relatif au régime national de gestion pour la pêche professionnelle de bar européen (Dicentrarchus labrax) dans le golfe de Gascogne (divisions CIEM VIII a, b), en tant qu’il n’applique pas la décision n° 429018 du 8 juillet 2020 du Conseil d’Etat statuant au contentieux et qu’il ne comporte pas de mesures de protection complémentaires de nature à réduire au minimum les incidences négatives de la pêche au bar sur l’environnement ;

2°) d’enjoindre à l’Etat d’adopter, sous astreinte journalière appropriée, de telles mesures, à savoir, d’une part, des mesures techniques encadrant les filets et les pratiques de pêche, à même de réduire au minimum les captures bars juvéniles inférieurs à la taille minimale, et, d’autre part, des mesures de protection à même de réduire au minimum les incidences négatives sur les populations de petits cétacés du golfe de Gascogne, telles qu’elles résultent notamment de l’avis du CIEM du 26 mai 2020.

3° Sous le n° 453700, par une requête et un nouveau mémoire, enregistrés

les 16 juin 2021 et 13 février 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, l’association Sea Shepherd France demande au Conseil d’Etat :

1°) d’annuler pour excès de pouvoir la décision implicite de refus de la ministre de la mer de prendre des mesures complémentaires visant à limiter les échouages de mammifères marins dans le golfe de Gascogne ;

2°) d’enjoindre à l’Etat de prendre toutes mesures permettant de limiter de manière effective les captures accidentelles de mammifères marins, notamment :

3°) d’enjoindre à l’Etat de transmettre toute information permettant aux administrés de connaître l’état de la procédure d’infraction en cours devant les instances de l’Union européenne ;

4°) de mettre à la charge de l’Etat la somme de 2 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

4° Sous le n° 459153, par une requête et trois nouveaux mémoires, enregistrés les 6 décembre 2021, 28 juillet et 29 novembre 2022 et 21 février 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, l’association France Nature Environnement demande au Conseil d’Etat :

1°) d’annuler pour excès de pouvoir la décision implicite de la ministre de la mer rejetant sa demande d’adopter des mesures complémentaires de

nature à réduire les captures accidentelles de dauphins communs dans le golfe de Gascogne ;

2°) d’enjoindre à l’Etat de verser à l’instruction la lettre de mise en demeure de la Commission européenne datée du 2 juillet 2020 et ses annexes ainsi que l’intégralité de l’avis motivé daté du 15 juillet 2022 ;

3°) d’enjoindre à l’Etat, d’une part, de s’assurer d’un contrôle strict de l’obligation de déclarer les captures, et d’autre part d’ordonner un renforcement effectif des mesures de connaissance et de surveillance en mer par la mise en place obligatoire, sur l’ensemble des pêcheries françaises actives dans le golfe de Gascogne, de caméras et d’observateurs embarqués, en vue de produire des estimations fiables du total de captures accidentelles et de déterminer la contribution relative de chaque pêcherie ;

4 °) d’enjoindre à l’Etat d’ordonner une fermeture spatio-temporelle en application du scénario dit ” N ” du CIEM ;

5°) d’enjoindre à l’Etat de solliciter le fonds européen pour les affaires maritimes, la pêche et l’aquaculture pour indemniser les pêcheurs des pertes liées à l’arrêt temporaire d’activité dû à ces mesures ;

6°) de mettre à la charge de l’Etat la somme de 2 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu :

Après avoir entendu en séance publique :

Vu la note en délibéré, enregistrée le 24 février 2023, présentée par la Première ministre ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 2 mars 2023, présentée par l’association France Nature Environnement ;

Considérant ce qui suit :

  1. L’association Défense des milieux aquatiques demande l’annulation pour excès de pouvoir de l’arrêté du 24 décembre 2020 de la ministre de la mer modifiant l’arrêté du 17 janvier 2019 relatif au régime national de gestion pour la pêche professionnelle de bar européen (Dicentrarchus labrax) dans le golfe de Gascogne (divisions CIEM VIII a, b), en tant qu’il ne comporte pas de mesures suffisantes pour réduire au minimum les incidences négatives de la pêche au bar sur la population des bars juvéniles, d’une part, et sur la population de petits cétacés, d’autre part, et d’enjoindre à l’Etat de prendre des mesures complémentaires en ce sens. Les associations France Nature Environnement et Sea Shepherd France demandent, pour leur part, l’annulation pour excès de pouvoir du refus opposé par la ministre de la mer à leur demande tendant à prendre des mesures complémentaires de nature à réduire au minimum les captures accidentelles de petits cétacés à l’occasion des activités de pêche menées dans le golfe de Gascogne, au motif qu’elles mettent en danger la conservation de trois espèces protégées de petits cétacés, le dauphin commun (Delphinus delphis), le grand dauphin (Tursiops truncatus) et le marsouin commun (Phocoena phocoena), et à ce qu’il soit enjoint à l’Etat de prendre l’ensemble des mesures permettant d’assurer la conservation de ces espèces, notamment la fermeture des pêcheries françaises concernées pendant une période pouvant aller jusqu’à trois mois l’hiver et un mois l’été, et le renforcement de la surveillance en mer de ces pêcheries.

  2. Ces requêtes présentent à juger des questions semblables. Il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision.

Sur les interventions de l’association Défense des milieux aquatiques au soutien des requêtes des associations France Nature Environnement et Sea Shepherd France :

  1. L’association Défense des milieux aquatiques justifie, eu égard à la nature et l’objet du litige, d’un intérêt suffisant à l’annulation des décisions de refus de la ministre de la mer de prendre des mesures complémentaires pour réduire les captures accidentelles de petits cétacés. Ainsi, ses interventions au soutien des requêtes nos 459153 et 453700 sont recevables.

Sur les fins de non-recevoir opposées en défense :

  1. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier que l’association France Nature Environnement a demandé à la ministre de la mer, préalablement à chacune de ses requêtes, de mettre en oeuvre une observation obligatoire des pêcheries à l’origine des captures accidentelles et que celle-ci passe notamment par la présence d’observateurs embarqués sur les navires. Contrairement à ce qui est opposé en défense, elle est ainsi en tout état de cause recevable à demander l’annulation du refus de la ministre de la mer de prévoir une telle présence.
  2. En second lieu, il ressort des pièces du dossier, d’une part, que l’association Sea Shepherd France a adressé une demande à la ministre de la mer le 17 février 2021 tendant à ce que soient prises des mesures visant à limiter les captures accidentelles de petits cétacés dans le golfe de Gascogne et, d’autre part, que la qualité pour agir de sa présidente au nom de l’association est établie par ses statuts et le mandat donné par le conseil d’administration le 14 juin 2021. Dès lors, la requête formée par cette association est recevable.

Sur le cadre juridique applicable :

  1. En premier lieu, aux termes de l’article 2 du règlement (UE) n° 1380/2013 du Parlement européen et du Conseil du 11 décembre 2013 relatif à la politique commune de la pêche (PCP), qui en fixe les objectifs, cette dernière, notamment, d’une part, ” applique l’approche de précaution en matière de gestion des pêches et vise à faire en sorte que l’exploitation des ressources biologiques vivantes de la mer rétablisse et maintienne les populations des espèces exploitées au-dessus des niveaux qui permettent d’obtenir le rendement maximal durable ”, et d’autre part ” met en oeuvre l’approche écosystémique de la gestion des pêches afin de faire en sorte que les incidences négatives des activités de pêche sur l’écosystème marin soient réduites au minimum “. L’article 6 de ce règlement prévoit qu’aux fins de la réalisation des objectifs énoncés à l’article 2, l’Union européenne adopte des mesures de conservation dont la nature est précisée aux articles 7 et suivants. L’article 19 de ce règlement permet en outre à chaque Etat membre d’” adopter des mesures pour la conservation des stocks halieutiques dans les eaux de l’Union ” à la triple condition que ces mesures ” a) s’appliquent uniquement aux navires de pêche battant son pavillon ou, dans le cas d’activités de pêche qui ne sont pas menées par un navire de pêche, à des personnes établies sur cette partie de son territoire auquel le traité s’applique; / b) soient compatibles avec les objectifs énoncés à l’article 2; / c) soient au moins aussi strictes que les mesures existantes en vertu du droit de l’Union “.

  2. Le règlement (UE) 2019/1241 du Parlement européen et du Conseil du 20 juin 2019 relatif à la conservation des ressources halieutiques et à la protection des écosystèmes marins par des mesures techniques prescrit des mesures techniques de protection, incluant la fixation pour certaines espèces d’une taille minimale de référence de conservation, et délègue dans certaines hypothèses à la Commission européenne le pouvoir de fixer cette même taille. L’article 3 de ce règlement dispose que ces mesures techniques ” contribuent notamment à la réalisation des objectifs généraux suivants : / a) optimiser les diagrammes d’exploitation afin de protéger les regroupements de juvéniles et de reproducteurs des ressources biologiques de la mer ; / b) veiller à ce que les captures accidentelles d’espèces marines sensibles, y compris celles énumérées dans les directives 92/43/CEE et 2009/147/CE, imputables à la pêche, soient réduites au minimum et si possible éliminées de telle sorte qu’elles ne représentent pas une menace pour l’état de conservation de ces espèces “. L’article 4 du même règlement dispose que ” 1. Les mesures techniques visent à veiller à ce que : / a) les captures d’espèces marines inférieures à la taille minimale de référence de conservation soient réduites autant que possible conformément à l’article 2, paragraphe 2, du règlement (UE) n° 1380/2013; / b) les captures accidentelles de mammifères marins, de reptiles marins, d’oiseaux de mer et d’autres espèces exploitées à des fins non commerciales ne dépassent pas les niveaux prévus dans la législation de l’Union et les accords internationaux qui lient l’Union (…) “.

  3. S’agissant de la protection des espèces protégées, et en particulier des mammifères marins, l’article 7 du règlement (UE) n°1380/2013 mentionne, parmi les mesures techniques énumérées au 2. : ” (…) b) les spécifications applicables à la construction des engins de pêche, y compris : (…) / ii) les modifications ou les dispositifs additionnels visant à réduire la capture accidentelle d’espèces en danger, menacées ou protégées (…) ; (…) e) les mesures spécifiques destinées à réduire au minimum les incidences négatives des activités de pêche sur la biodiversité marine et les écosystèmes marins, y compris les mesures visant à éviter et à réduire, dans la mesure du possible, les captures indésirées “. L’article 11 du règlement (UE) 2019/1241 dispose que : ” 1. La capture, la détention à bord, le transbordement ou le débarquement des mammifères marins ou des reptiles marins visés aux annexes II et IV de la directive 92/43/CEE et des espèces d’oiseaux de mer couvertes par la directive 2009/147/CE sont interdits. (…) 4. Sur la base des meilleurs avis scientifiques disponibles, l’État membre peut, pour les navires battant son pavillon, mettre en place des mesures d’atténuation ou des restrictions relatives à l’utilisation de certains engins de pêche. Ces mesures réduisent au minimum et, si possible, éliminent les captures des espèces visées au paragraphe 1 du présent article et elles sont compatibles avec les objectifs énoncés à l’article 2 du règlement (UE) n° 1380/2013 et sont au moins aussi strictes que les mesures techniques applicables en vertu du droit de l’Union. / 5.

Les mesures adoptées en application du paragraphe 4 du présent article visent à atteindre l’objectif spécifique établi à l’article 4, paragraphe 1, point b). Les États membres informent, à des fins de contrôle, les autres États membres concernés des dispositions adoptées conformément au paragraphe 4 du présent article. Ils rendent également publiques les informations appropriées concernant ces mesures “. En application de l’article 15 du règlement (UE) 2019/1241, l’annexe XIII définit les mesures techniques établies au niveau régional pour réduire les captures accidentelles de cétacés. Ces mesures incluent notamment, d’une part, l’interdiction aux navires d’une longueur hors tout supérieure ou égale à 12 mètres d’utiliser certains engins de pêche, notamment le filet maillant de fond ou le filet emmêlant, sans que soient utilisés simultanément des dispositifs de dissuasion acoustique dans certaines zones de pêche dites ” zones CIEM “. Cette obligation ne s’applique toutefois pas dans la sous- zone CIEM 8, qui correspond au golfe de Gascogne. Ces mesures incluent aussi, d’autre part, la mise en place, y compris dans cette sous-zone CIEM 8, de ” programmes de surveillance (…) menés chaque année pour les navires d’une longueur hors tout supérieure ou égale à 15 mètres battant leur pavillon, en vue de contrôler les captures accessoires de cétacés, dans les pêcheries ” utilisant des chaluts pélagiques simples et doubles et des chaluts à grande ouverture verticale.

  1. L’article L. 911-2 du code rural et de la pêche maritime dispose que ” la politique des pêches maritimes, de l’aquaculture marine et des activités halio-alimentaires a pour objectifs, en conformité avec les principes et les règles de la politique commune des pêches et dans le respect des engagements internationaux : / 1° De permettre d’exploiter durablement et de valoriser le patrimoine collectif que constituent les ressources halieutiques auxquelles la France accède, (…) dans le cadre d’une approche écosystémique afin de réduire au minimum les incidences négatives sur l’environnement “. Pour la mise en oeuvre de cette politique et sur le fondement de l’article L. 922-1 du même code, le II de son article D. 922-1 prévoit que pour les espèces dont la pêche ” est soumise à des totaux admissibles de captures (TAC) ou à un poids ou à une taille minimale de capture et de débarquement fixés par la réglementation européenne ”, le ministre chargé des pêches maritimes ” peut fixer par un arrêté applicable aux seuls navires battant pavillon français et aux pêcheurs à pied professionnels un poids ou une taille minimale de capture et de débarquement supérieur à celui prévu par la réglementation

européenne, en tenant compte :/ 1° Des moyens à mettre en oeuvre pour garantir une gestion durable des stocks, notamment en vue d’obtenir le rendement maximum durable (RMD) ; / 2° Des orientations du marché ; /3° Des équilibres socio-économiques “. Pour les autres espèces, le III du même article prévoit que ” lorsqu’une bonne gestion de l’espèce le rend nécessaire, le ministre peut fixer par un arrêté applicable aux seuls navires battant pavillon français un poids ou une taille minimale de capture et de débarquement “. D’autres mesures techniques de protection peuvent être prises sur le fondement des dispositions du chapitre II du titre II du livre IX du même code, selon le cas, par arrêté du ministre chargé des pêches maritimes ou des autres autorités de l’Etat compétentes en vertu de son article R.* 911-3, ou par délibération du comité national ou des comités régionaux des pêches maritimes et des élevages marins rendue obligatoire dans les conditions définies à son article L. 921- 2 - 1, telles notamment que des restrictions spatiales et temporelles ou une règlementation des engins et procédés de pêche.

  1. En second lieu, l’article 2 de la directive 92/43/CEE du 21 mai 1992, dite directive ” Habitats ”, prévoit que celle-ci ” a pour objet de contribuer à assurer la biodiversité par la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvages ” et que les mesures prises dans ce cadre ” visent à assurer le maintien ou le rétablissement, dans un état de conservation favorable, des habitats naturels et des espèces de faune et de flore sauvages d’intérêt communautaire ” et ” tiennent compte des exigences économiques, sociales et culturelles, ainsi que des particularités régionales et locales “. Le i) de l’article 1er de cette directive précise qu’un état de conservation est considéré comme favorable lorsque, notamment, ” les données relatives à la dynamique de la population de l’espèce en question indiquent que cette espèce continue et est susceptible de continuer à long terme à constituer un élément viable des habitats naturels auxquels elle appartient “. Aux termes de l’article 6 de cette directive, qui définit le régime applicable aux zones spéciales de conservation appartenant au réseau dénommé ” Natura 2000 ” abritant les habitats d’espèces figurant à l’annexe II de cette directive : ” 1. Pour les zones spéciales de conservation, les États membres établissent les mesures de conservation nécessaires impliquant, le cas échéant, des plans de gestion appropriés spécifiques aux sites ou intégrés dans d’autres plans d’aménagement et les mesures réglementaires, administratives ou contractuelles appropriées, qui répondent aux exigences écologiques (…) des espèces de l’annexe II présents sur les sites. / 2. Les États membres prennent les mesures appropriées pour éviter, dans les zones spéciales de conservation, la détérioration des habitats naturels et des habitats d’espèces ainsi que les perturbations touchant les espèces pour lesquelles les zones ont été désignées, pour autant que ces perturbations soient susceptibles d’avoir un effet significatif eu égard aux objectifs de la présente directive “. Aux termes de l’article 12 de cette même directive : ”

  2. Les Etats membres prennent les mesures nécessaires pour instaurer un système de protection stricte des espèces animales figurant à l’annexe IV point a), dans leur aire de répartition naturelle, interdisant : a) toute forme de capture ou de mort intentionnelle de spécimens de ces espèces dans la nature ; b) la perturbation intentionnelle de ces espèces, notamment durant la période de reproduction et de dépendance (…) / 4. Les États membres instaurent un système de contrôle des captures et mises à mort accidentelles des espèces animales énumérées à l’annexe IV point a). Sur la base des informations recueillies, les États membres entreprennent les nouvelles recherches ou prennent les mesures de conservation nécessaires pour faire en sorte que les captures ou mises à mort involontaires n’aient pas une incidence négative importante sur les espèces en question “. Le grand dauphin et le marsouin commun figurent parmi les espèces d’intérêt communautaire mentionnées à l’annexe II de cette directive. L’annexe IV concerne toutes les espèces de cétacés, dont le dauphin commun.

  3. Aux termes de l’article L. 219-7 du code de l’environnement : ” Le milieu marin fait partie du patrimoine commun de la Nation. Sa protection, la conservation de sa biodiversité et son utilisation durable par les activités maritimes et littorales dans le respect des habitats et des écosystèmes marins sont d’intérêt général. / La protection et la préservation du milieu marin visent à : (…) / 3° Appliquer à la gestion des activités humaines une approche fondée sur les écosystèmes, permettant de garantir que la pression collective résultant de ces activités soit maintenue à des niveaux compatibles avec la réalisation du bon état écologique du milieu marin et d’éviter que la capacité des écosystèmes marins à réagir aux changements induits par la nature et par les hommes soit compromise, tout en permettant l’utilisation durable des biens et des services marins par les générations actuelles et à venir “. Aux termes de l’article L. 411-1 du même code : ” I.- Lorsqu’un intérêt scientifique particulier, le rôle essentiel dans l’écosystème ou les nécessités de la préservation du patrimoine naturel

justifient la conservation de sites d’intérêt géologique, d’habitats naturels, d’espèces animales non domestiques ou végétales non cultivées et de leurs habitats, sont interdits : / 1° La destruction ou l’enlèvement des oeufs ou des nids, la mutilation, la destruction, la capture ou l’enlèvement, la perturbation intentionnelle, la naturalisation d’animaux de ces espèces ou, qu’ils soient vivants ou morts, leur transport, leur colportage, leur utilisation, leur détention, leur mise en vente, leur vente ou leur achat ; (…) / 3° La destruction, l’altération ou la dégradation de ces habitats naturels ou de ces habitats d’espèces “. Aux termes de l’article L. 414-1 du même code : ” I.- Les zones spéciales de conservation sont des sites marins et terrestres à protéger comprenant : (…) / -soit des habitats abritant des espèces de faune ou de flore sauvages rares ou vulnérables ou menacées de disparition ; / -soit des espèces de faune ou de flore sauvages dignes d’une attention particulière en raison de la spécificité de leur habitat ou des effets de leur exploitation sur leur état de conservation ; (…) / IV.- Les sites désignés comme zones spéciales de conservation et zones de protection spéciale par décision de l’autorité administrative concourent, sous l’appellation commune de ” sites Natura 2000 ”, à la formation du réseau écologique européen Natura 2000. / V.- Les sites Natura 2000 font l’objet de mesures destinées à conserver ou à rétablir dans un état favorable à leur maintien à long terme les habitats naturels et les populations des espèces de faune et de flore sauvages qui ont justifié leur délimitation. Les sites Natura 2000 font également l’objet de mesures de prévention appropriées pour éviter la détérioration de ces mêmes habitats naturels et les perturbations de nature à affecter de façon significative ces mêmes espèces. / Ces mesures sont définies en concertation notamment avec les collectivités territoriales intéressées et leurs groupements concernés ainsi qu’avec des représentants de propriétaires, exploitants et utilisateurs des terrains et espaces inclus dans le site. / Elles tiennent compte des exigences économiques, sociales, culturelles et de défense, ainsi que des particularités régionales et locales. Elles sont adaptées aux menaces spécifiques qui pèsent sur ces habitats naturels et sur ces espèces. Elles ne conduisent pas à interdire les activités humaines dès lors qu’elles n’ont pas d’effets significatifs sur le maintien ou le rétablissement dans un état de conservation favorable de ces habitats naturels et de ces espèces “. Aux termes du II bis de l’article L. 414-4 du même code : ” Les activités de pêche maritime professionnelle s’exerçant dans le périmètre d’un ou de plusieurs sites Natura 2000 font l’objet d’analyses des risques d’atteinte aux objectifs de conservation des sites Natura 2000, réalisées à l’échelle de chaque site, lors de l’élaboration ou de la révision des documents d’objectifs mentionnés à l’article L. 414-2. Lorsqu’un tel risque est identifié, l’autorité administrative prend les mesures réglementaires pour assurer que ces activités ne portent pas atteinte aux objectifs de conservation du site, dans le respect des règles de la politique commune de la pêche maritime. Ces activités sont alors dispensées d’évaluation d’incidences sur les sites Natura 2000 “.

Sur les conclusions relatives à l’annulation de l’arrêté du 24 décembre 2020 en tant qu’il n’assurerait pas une protection suffisante de la population du bar dans le golfe de Gascogne :

  1. L’association Défense des milieux aquatiques soutient que l’arrêté du 24 décembre 2020, en procédant au relèvement du plafond annuel de captures du bar dans le golfe de Gascogne de 2 032 tonnes en 2020 à 2 390 tonnes pour l’année 2021, retient une approche fondée sur le rendement maximal durable non conforme à l’exigence d’une approche écosystémique des pêches prévue aux articles L. 911-2 du code rural et de la pêche maritime et L. 219-7 du code de l’environnement et n’assure pas un niveau de protection suffisant en l’absence, d’une part, de fixation de la taille minimale de capture, au-delà du relèvement à 40 centimètres découlant d’un arrêté du 4 février 2020, à plus de 42 centimètres, taille de maturité des bars et, d’autre part, de prescriptions techniques, relatives notamment au maillage des filets, propres à éviter la destruction en nombre significatif des bars de taille inférieur à la taille minimale de capture.

  2. Il résulte des dispositions citées aux points 6 à 9 que, lorsque les données disponibles font apparaître que, compte tenu des caractéristiques d’une pêcherie, des mesures techniques de protection, applicables aux seuls navires battant pavillon français, sont nécessaires et adéquates pour atteindre les objectifs énoncés par le droit de l’Union européenne et le droit national, notamment l’objectif de gestion durable des ressources halieutiques, il appartient aux autorités compétentes d’user du pouvoir qui leur est conféré d’instaurer de telles mesures. Si le ministre doit prendre en compte tant les incidences de ces mesures sur les équilibres socio-économiques du secteur que les possibilités raisonnables d’adaptation des engins et techniques de pêche, notamment en cas de pêcherie plurispécifique, elles doivent assurer à tout le moins aux juvéniles de l’espèce concernée une protection suffisante pour rétablir ou maintenir le stock de l’espèce à un niveau supérieur à celui qui permet d’obtenir le rendement maximal durable, compte tenu de l’ensemble des mesures techniques de protection qui s’appliquent à la même espèce.

  3. Lorsqu’il est saisi d’un recours contestant le caractère suffisant de mesures de protection, il appartient au juge de l’excès de pouvoir d’apprécier ce caractère de manière globale au regard des impératifs résultant du règlement relatif à la politique commune de la pêche et de l’article L. 911-2 du code rural et de la pêche maritime.

  4. En premier lieu, il ressort des termes mêmes de l’article 2 du règlement (UE) n° 1380/2013 du 11 décembre 2013, précédemment cités, que la politique commune de la pêche, dans le cadre d’une approche écosystémique de la gestion des pêches, vise à maintenir les populations des espèces exploitées au-dessus des niveaux qui permettent d’obtenir le rendement maximal durable. Dès lors, le moyen tiré de ce que l’arrêté attaqué serait illégal en ce qu’il retient une approche fondée sur le rendement maximal durable ne peut qu’être écarté.

  5. En deuxième lieu, il ressort des pièces du dossier, notamment des rapports annuels du Conseil international pour l’exploration de la mer (CIEM) sur la pêcherie au bar dans le golfe de Gascogne et des analyses de l’Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer (IFREMER), que, pour le bar, la biomasse de géniteurs s’établit désormais à un niveau supérieur au seuil d’alerte en dessous duquel des mesures correctrices sont nécessaires pour garantir le rendement maximal durable, que la mortalité par pêche est en diminution, que l’état de conservation du bar est jugé favorable depuis 2020 et que le plafond de capture de 2390 tonnes fixé pour 2021 est inférieur à celui regardé par le CIEM, dans son avis du 30 juin 2020, comme compatible avec l’objectif de rendement maximal durable. Il résulte de ces éléments que les mesures de protection sont, prises dans leur ensemble, globalement suffisantes. Par suite, le moyen, tiré de ce que l’arrêté attaqué, faute de mesures de protection complémentaires, n’assurerait pas une protection suffisante à l’espèce concernée, doit être écarté.

  6. En troisième lieu, l’association requérante ne saurait utilement contester, dans le cadre du présent recours, la légalité de la taille minimale de capture du bar, fixée à 40 cm par l’arrêté du 4 février 2020, d’une part, et des règles de maillage des filets, fixées par une délibération du Comité national des pêches maritimes et des élevages marins (CNPMEM) du 23 janvier 2020, d’autre part, dès lors que l’arrêté attaqué dans le cadre de ce recours n’a été pris ni pour l’application ni sur le fondement des actes dont l’illégalité est ainsi invoquée.

  7. Il résulte de ce qui précède que l’association Défense des milieux aquatiques n’est pas fondée à demander l’annulation pour excès de pouvoir de l’arrêté du 24 décembre 2020 en tant qu’il n’assurerait pas un niveau de protection suffisant pour la population des bars dans le golfe de Gascogne. Par suite, ses conclusions à fin d’injonction, sur ce point, ne peuvent qu’être rejetées.

Sur les conclusions relatives à l’insuffisance des mesures prises pour la protection des espèces de petits cétacés dans le golfe de Gascogne :

  1. Pour la mise en oeuvre des dispositions de l’article L. 411-1 du code de l’environnement citées au point 11, un arrêté du 1er juillet 2011 de la ministre de l’écologie, du développement durable, des transports et du logement et du ministre de l’agriculture, de l’alimentation, de la pêche, de la ruralité et de l’aménagement du territoire a fixé la liste des mammifères marins protégés sur le territoire national et les modalités de leur protection. L’article 2 de cet arrêté, modifié par un arrêté du 3 septembre 2020, dispose que, pour les espèces visées, qui incluent le dauphin commun, le grand dauphin et le marsouin commun : ” (…) sont interdits (…) dans les eaux marines sous souveraineté et sous juridiction [nationales], et en tout temps : I. - La destruction, la mutilation, la capture ou l’enlèvement intentionnels incluant les prélèvements biologiques, la perturbation intentionnelle incluant l’approche des animaux à une distance de moins de 100 mètres dans les aires marines protégées mentionnées à l’article L. 334-1 du code de l’environnement, et la poursuite ou le harcèlement des animaux dans le milieu naturel. / Les activités de pêche maritime, définies par l’article L. 911-1 du code rural et de la pêche maritime, ne sont pas concernées par la limite d’approche des animaux lorsque cette approche est non intentionnelle et par l’interdiction de capture lorsque celle-ci est accidentelle au sens du règlement (UE) 2019/1241 du Parlement européen et du Conseil du 20 juin 2019 susvisé (…) “. L’article 4 de ce même arrêté, modifié par un arrêté du 6 septembre 2018, dispose que : ” A des fins de connaissance scientifique, tout spécimen de mammifère marin capturé accidentellement dans un engin de pêche doit faire l’objet d’une déclaration par les capitaines de navires de pêches dans le journal de pêche électronique, dans les journaux de pêche papier ainsi que dans les fiches de pêche papier. L’utilisation de ces données à des fins de connaissance scientifique est réalisée dans un format ne permettant pas d’identifier la personne physique ou morale. Cette obligation s’applique conformément aux dates limites de début de transmission des données officielles au format ERS en version 3, définies par l’arrêté du 28 juillet 2017 modifié fixant les règles d’emport et d’utilisation des équipements d’enregistrement et de communication électroniques des données relatives aux activités de pêche professionnelle au format ERS en version 3, à bord des navires sous pavillon français, ainsi que des navires sous pavillon étranger qui se trouvent dans les eaux sous juridiction française “.

  2. Sur le fondement des dispositions de l’article 11 du règlement (UE) 2019/1241 citées au point 8 et des dispositions du livre IX du code rural et de la pêche maritime mentionnées au point 9, d’une part, s’agissant des mesures de prévention des captures accidentelles, le ministre de l’agriculture et de l’alimentation a pris le 26 décembre 2019 un arrêté portant obligation d’équipement des dispositifs de dissuasion acoustique pour les chaluts pélagiques dans le golfe de Gascogne. L’article 2 de cet arrêté prévoyait qu’entre le 1er janvier et le 30 avril de chaque année, les navires français de longueur supérieure à 12 mètres pêchant au moyen d’un chalut pélagique dans le golfe de Gascogne devaient utiliser des dispositifs actifs de dissuasion acoustique afin de limiter l’entrée des cétacés dans les chaluts pélagiques. Un arrêté du 27 novembre 2020 de la ministre de la mer a rendu cette obligation applicable toute l’année, a supprimé le seuil de taille des navires concernés et a ajouté aux navires concernés les chalutiers démersaux en paire. Un arrêté du ministre chargé de la mer du 29 décembre 2022 a prévu l’expérimentation, à partir de fin 2023 jusqu’en 2025, de dispositifs de dissuasion acoustique pour les navires sous pavillon français utilisant les filets maillants et emmêlants les plus actifs dans le golfe de Gascogne. D’autre part, s’agissant du dispositif de surveillance et de contrôle des captures accidentelles, outre l’obligation de déclaration prévue par les dispositions de l’arrêté du 1er juillet 2011 citées au point 19, dont la méconnaissance est passible de l’amende prévue à l’article L. 945-4 du code rural et de la pêche maritime, l’arrêté du 29 décembre 2022 mentionné ci-dessus dispose que cent navires parmi ceux concernés par l’expérimentation qu’il prévoit seront équipés de caméras embarquées, et deux arrêtés du ministre chargé de la mer du 27 décembre 2022 imposent aux navires de pêche français de plus de six mètres évoluant dans le golfe de Gascogne l’emport obligatoire d’une balise VMS (” Vessel Monitoring System ”) permettant leur géolocalisation, ainsi qu’aux navires de plus de quinze mètres de participer à un programme d’observation embarquée pour améliorer les connaissances sur les captures accidentelles.

En ce qui concerne les conclusions à fin d’annulation :

  1. En premier lieu, l’effet utile de l’annulation pour excès de pouvoir du refus opposé à la demande mentionnée au point précédent réside dans l’obligation, que le juge peut prescrire d’office en vertu des dispositions de l’article L. 911-1 du code de justice administrative, pour l’autorité compétente, de prendre les mesures jugées nécessaires. La légalité de ce refus doit, dès lors, être appréciée par ce juge au regard des règles applicables et des circonstances prévalant à la date de sa décision.

  2. En second lieu, il résulte des dispositions des articles 2 du règlement (UE) n° 1380/2013 ” PCP ” et des articles 3 et 4 du règlement (UE) 2019/1241, citées aux points 6 et 7, qu’il incombe à l’Etat de réduire au minimum et si possible éliminer les captures accidentelles d’espèces protégées imputables à la pêche, et des termes de l’article 12 de la directive 92/43/CEE ” Habitats ”, citées au point 10, qu’il lui appartient de prendre les mesures de conservation nécessaires pour faire en sorte que les captures ou mises à mort involontaires n’aient pas une incidence négative importante sur ces espèces, au regard de l’objectif consistant à assurer leur maintien ou leur rétablissement dans un état de conservation favorable. Il résulte des dispositions de l’article 11 du règlement (UE) 2019/1241, citées au point 8, que l’Etat peut, sur la base des meilleurs avis scientifiques disponibles et pour les navires battant son pavillon, mettre en place, à cette fin, des mesures d’atténuation ou des restrictions relatives à l’utilisation de certains engins de pêche.

  3. En troisième lieu, ainsi qu’il résulte de la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne, l’article 12 de la directive ” Habitats ” doit être interprété à la lumière du principe de précaution mentionné au paragraphe 2 de l’article 191 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne pour apprécier la conformité aux objectifs qu’il définit des mesures adoptées. Celles-ci doivent, de même, s’inscrire dans l’approche de précaution en matière de gestion des pêches exigée par l’article 2 du règlement ” PCP “. Il appartient également à l’Etat, lorsqu’il prend des mesures qui ne découlent pas des prescriptions inconditionnelles résultant du droit de l’Union européenne mais supposent l’exercice d’un pouvoir d’appréciation, de veiller au respect du principe de précaution garanti par l’article 5 de la Charte de l’environnement.

  4. Dans ce cadre, il appartient aux autorités compétentes, saisies d’une demande de renforcement des mesures de protection existantes, de rechercher s’il existe des éléments circonstanciés de nature à accréditer l’hypothèse d’un risque de dommage grave et irréversible pour l’environnement, qui justifierait, en dépit des incertitudes subsistant quant à sa réalité et à sa portée en l’état des connaissances scientifiques, l’application du principe de précaution. Si cette condition est remplie, il leur incombe de veiller à ce que des procédures d’évaluation du risque identifié soient mises en oeuvre par les autorités publiques ou sous leur contrôle et de vérifier que des mesures de précaution soient prises. Il appartient au juge, saisi de conclusions dirigées contre la décision par laquelle les autorités compétentes ont refusé de prendre des mesures de précaution supplémentaires et au vu de l’argumentation dont il est saisi, de déterminer si l’application du principe de précaution est justifiée à la date à laquelle il se prononce, et dans l’affirmative, en cas d’erreur manifeste d’appréciation dans le choix des mesures de précaution déjà prises, caractérisant l’insuffisance globale de la protection assurée au regard des exigences rappelées aux points 22 et 23, quelles sont les mesures qui doivent être ordonnées au titre de ses pouvoirs d’injonction.

S’agissant des mesures de protection visant à réduire les captures accidentelles :

  1. En premier lieu, les associations requérantes soutiennent que, dès lors que les risques de capture de cétacés appartenant à une espèce protégée, dans le cadre des activités de pêche dans le golfe de Gascogne, sont connus et avérés, tant des pêcheurs que des autorités françaises, ces captures doivent être regardées comme des captures intentionnelles au sens de l’article 12 de la directive ” Habitats ”, prohibées par l’article L. 411- 1 du code de l’environnement. Toutefois, il résulte des termes mêmes tant des règlements relatifs à la politique commune de la pêche, qui mentionnent l’impératif de réduction des captures accidentelles à un niveau tel qu’elles ne représentent pas une menace pour l’état de conservation de l’espèce, et énumèrent diverses mesures destinées à favoriser la réduction des captures accidentelles de cétacés, que de la directive ” Habitats ”, dont l’article 12 impose aux Etats membres de mettre en place un système de contrôle des captures accidentelles d’espèces animales protégées et de prendre les mesures de conservation appropriées pour faire en sorte que ces captures involontaires n’aient pas une incidence négative importante sur les espèces en question, que la capture de cétacés relevant d’une espèce protégée, dans le cadre d’une activité de pêche d’autres espèces, ne saurait, sauf si le pêcheur concerné ne respecte pas les règles édictées pour prévenir ces captures, être qualifiée de capture intentionnelle. Par suite, le moyen soulevé ne peut qu’être écarté.

  2. En deuxième lieu, les associations requérantes ne sauraient utilement, à l’appui de leur contestation de l’arrêté et des refus attaqués, contester la conformité au droit de l’Union européenne de l’article 2 de l’arrêté du 1er juillet 2011, en tant qu’il prévoit que les activités de pêche maritime ne sont pas concernées par l’interdiction de capture lorsque celle-ci est accidentelle au sens du règlement (UE) 2019/1241, ou la légalité de l’arrêté du 26 décembre 2019 portant obligation d’équipement des dispositifs de dissuasion acoustique pour les chaluts pélagiques dans le golfe de Gascogne, en tant que l’emploi de tels dispositifs contreviendrait à la prohibition des perturbations intentionnelles d’espèces protégées édictée à l’article L. 411-1 du code de l’environnement, dès lors que les actes contestés n’ont été pris ni pour l’application ni sur le fondement des dispositions dont l’illégalité est ainsi invoquée.

  3. En troisième lieu, les trois associations requérantes soutiennent que les décisions attaquées, par lesquelles l’Etat a refusé de prendre des mesures de protection complémentaires, méconnaissent les dispositions précitées de la directive ” Habitats ” et du règlement (UE) 2019/1241 ainsi que le principe de précaution garanti notamment par l’article 5 de la Charte de l’environnement, en ce qu’elles ne permettent pas de réduire les captures accidentelles de petits cétacés à un niveau compatible avec le maintien ou le rétablissement d’un état de conservation favorable pour ces espèces.

  4. D’une part, il ressort des pièces du dossier, et notamment de l’avis rendu par le CIEM le 26 mai 2020 et du rapport du Comité scientifique, technique et économique de la pêche (CSTEP) des 22-26 mars 2021, ainsi que des travaux et observations du réseau national d’échouage, coordonné par l’Observatoire Pelagis, unité mixte associant le Centre national de la recherche scientifique et l’université de la Rochelle, que, si ne sont connus avec certitude ni le niveau de la population de petits cétacés dans leur aire de répartition naturelle de l’Atlantique nord, ni le nombre exact de décès causés par des captures accidentelles dans le cadre des activités de pêche dans la zone du golfe de Gascogne, la mortalité causée par ces captures accidentelles est avérée et constitue, en raison des niveaux particulièrement élevés auxquels elle peut raisonnablement être estimée, un facteur déterminant permettant de conclure à l’existence d’une menace grave pour la conservation des espèces de petits cétacés protégés. Il ressort notamment de l’avis du CIEM du 26 mai 2020, dont la méthodologie fondée sur le prélèvement biologique potentiel ou ” Potential Biological Removal ”, internationalement reconnue, n’est pas contestée par l’administration, que s’agissant du dauphin commun, le nombre maximal de décès par capture accidentelle compatible avec un état de conservation favorable est de l’ordre de 4 900 individus par an pour l’ensemble de la zone Atlantique Nord-Est, dans l’hypothèse la moins conservatoire, et de l’ordre de 3 700, 2 500 voire 1 000 individus par an dans des hypothèses correspondant à une approche de précaution, la commission chargée du suivi de la convention pour la protection de l’environnement marin de l’Atlantique Nord-Est (OSPAR) retenant pour sa part un objectif de moins de 985 captures accidentelles par an. Or, le nombre de décès par capture accidentelle imputable aux activités de pêche dans le seul golfe de Gascogne, tel qu’il peut être estimé à partir des données issues de l’observation des échouages sur les côtes françaises, d’une part, et des observations aériennes, d’autre part, se maintient depuis 2018 à des niveaux très supérieurs. Il ressort des estimations figurant dans les rapports de l’Observatoire Pelagis qu’il était, pour les dauphins communs, de l’ordre de 7 200 décès pour le seul hiver 2020 et de l’ordre de 6 800 décès pour le seul hiver 2021. Ces rapports soulignent que ces données ne portent que sur les mois de janvier à mars de chaque année, correspondant au pic des captures accidentelles et que les échouages observés le reste de l’année, notamment pendant les périodes estivales, sont en progression. La dernière note de l’Observatoire Pelagis, en janvier 2023, indique qu’aucun élément ne permet de conclure à une diminution des mortalités en mer durant l’hiver 2022. Dans un nouvel avis publié le 24 janvier 2023, le CIEM estime, au vu des données disponibles pour 2019- 2021, et d’une amélioration des modèles statistiques qui en permettent l’analyse, que le niveau des décès par capture accidentelle, qu’il avait estimé être de l’ordre de 6 600 par an dans son rapport de 2020, doit être réévalué à la hausse, à hauteur d’environ 9 000 par an sur la période. L’inventaire national du patrimoine naturel (INPN) indique ainsi que l’état de conservation des espèces concernées dans la région marine atlantique est ” défavorable mauvais ” pour le marsouin commun et le dauphin commun, ce qui correspond à un danger sérieux d’extinction au moins régionalement, et ” défavorable inadéquat ”, c’est-à-dire qu’un changement dans la gestion ou les politiques en place est nécessaire pour que l’espèce retrouve un statut favorable, pour le grand dauphin.

  5. D’autre part, dans son avis du 26 mai 2020, le CIEM a étudié un scénario dit ” K. ” correspondant à une obligation d’équipement des chalutiers pélagiques et démersaux en paire en dispositifs de dissuasion acoustique et concluait à l’insuffisance de cette seule mesure pour réduire les captures accidentelles à un niveau permettant d’assurer la conservation du dauphin commun, l’effet de cette mesure, isolée, ne permettant d’escompter une réduction des captures accidentelles que de l’ordre de 20 %. Au demeurant, si cette analyse du CIEM repose sur un potentiel de réduction des captures accidentelles par la dissuasion acoustique estimé à 65 %, ce chiffre résulte d’une seule étude portant sur un nombre très réduit de navires, réalisée dans des conditions différentes de celles prévues par l’arrêté du 26 décembre 2019, et présentant un intervalle de confiance compris entre 15 % et 98 %, et d’autres études anticipent une efficacité moindre de ces dispositifs en conditions réelles. Enfin, certaines études concluent également à ce qu’une utilisation excessive de tels dispositifs est susceptible de créer un effet d’éviction des petits cétacés de zones de leur habitat présentant un fort enjeu nutritif essentiel à leur survie. Le CIEM concluait ainsi à la nécessité, pour assurer la conservation des espèces concernées, de combiner l’équipement des navires en dispositifs de dissuasion acoustique avec des mesures de réduction de l’effort de pêche ou des mesures de fermeture spatiale et temporelle des pêcheries concernées, en soulignant que de telles mesures doivent, eu égard au cycle de vie des petits cétacés, être mises en oeuvre pendant une période appropriée et suffisamment longue. Dans son nouvel avis du 24 janvier 2023, le CIEM réaffirme l’urgence de renforcer la protection des petits cétacés ainsi que, pour y parvenir, l’insuffisance des seuls dispositifs de dissuasion acoustique et la nécessité de les combiner avec des fermetures spatio-temporelles, sur plusieurs semaines chaque année et pendant au moins cinq années.

  6. Certes, l’obligation d’équipement en dispositifs de dissuasion acoustique prévue par l’arrêté du 27 novembre 2020 pour les navires battant pavillon français concerne également les chaluts pélagiques simples et est ainsi plus protectrice que le scénario ” K ” étudié par le CIEM. Néanmoins, ainsi qu’il a été dit au point précédent, en l’état des connaissances scientifiques, notamment en l’absence d’éléments scientifiques démontrant la capacité de ces dispositifs à atteindre, en conditions réelles, l’efficacité attendue, cette extension n’apparaît pas de nature à permettre de réduire les captures accidentelles à un niveau compatible avec le rétablissement d’un état de conservation favorable du dauphin commun. Au surplus, l’utilisation des dispositifs de dissuasion acoustique ne concerne, à la date de la présente décision, que la pêche au chalut, dont il est estimé qu’elle occasionne moins de la moitié des captures accidentelles, et n’inclut pas la pêche au trémail et au filet maillant, pour lesquelles l’arrêté du 29 décembre 2022 ne prévoit une utilisation d’autres types de dispositifs de dissuasion acoustique, actuellement en cours d’expérimentation, que pour une partie de la flotte et à partir de la fin de l’année 2023. Si l’administration fait valoir que la baisse des échouages de petits cétacés depuis 2020 atteste de l’efficacité des mesures déjà prises, cette baisse, qui n’est au demeurant pas caractérisée, en l’état des éléments figurant au dossier, avec suffisamment de certitude et de précision, peut résulter d’autres facteurs, comme la variation des conditions météorologiques, et ne démontre en tout état de cause pas la suffisance des mesures prises, dès lors qu’en dépit de leur intervention, le niveau des décès liés aux captures accidentelles dans le seul golfe de Gascogne reste, ainsi qu’il a été dit, largement supérieur aux niveaux permettant d’assurer, sur l’ensemble de la zone Atlantique Nord- Est, un état de conservation favorable des petits cétacés.

  7. En quatrième lieu, les requérantes soutiennent que les décisions attaquées méconnaissent également l’article 6 de la directive ” Habitats ” et les articles L. 414-1 et L. 414-4 du code de l’environnement, dès lors que, d’une part, des sites Natura 2000 désignés dans le golfe de Gascogne pour assurer la conservation du grand dauphin et du marsouin commun, protégés au titre de l’annexe II de cette directive, sont inclus dans la zone de risque de captures accidentelles de ces espèces, ce risque ayant au demeurant été identifié de façon très générale par les documents d’objectifs des sites en question, mais que, d’autre part, les analyses permettant de caractériser précisément ce risque sont inexistantes ou insuffisantes et les mesures de conservation nécessaires, en particulier la fermeture temporelle de la pêche dans le golfe de Gascogne, telle que demandée, ainsi que des mesures spécifiques à ces sites, n’ont pas été mises en oeuvre.

  8. En réponse à cette argumentation, l’administration fait valoir, d’une part, qu’une méthodologie concernant les analyses des risques pour les espèces, permettant de croiser l’analyse à l’échelle de chaque site et l’analyse à mener plus largement sur l’aire de répartition naturelle de chaque espèce, a été établie en 2021, que sur cette base des travaux ont été engagés en 2022 pour identifier les secteurs à risque de capture accidentelle par espèce, puis évaluer, à compter de 2023, à l’échelle de chaque site, le niveau de risque de porter atteinte aux objectifs de conservation de l’espèce concernée, afin d’arrêter, au plus tard en 2027, le cas échéant, les mesures appropriées. Elle fait valoir, d’autre part, s’agissant des mesures de protection prises, que l’interdiction de la pêche au chalut pélagique sur le site du plateau de Rochebonne, instituée en 1978, ne fait plus, depuis 2019, l’objet d’aucune dérogation.

  9. Toutefois, d’une part, il n’est pas contesté que les analyses de risques ainsi engagées n’ont pas encore été menées à bien pour les sites Natura 2000 désignés pour la protection du grand dauphin et du marsouin commun. D’autre part, et alors qu’il résulte de ce qui a été dit précédemment que les activités de pêche dans le golfe de Gascogne constituent, en l’état actuel, une menace grave pour la conservation des petits cétacés, dont le grand dauphin et le marsouin commun, il n’est pas davantage contesté que, sauf rares exceptions, ceux de ces sites situés dans le golfe de Gascogne n’ont pas fait l’objet de mesures de précaution spécifiques permettant d’assurer que ces activités de pêche ne portent pas atteinte aux objectifs de conservation des sites.

  10. Il résulte de tout ce qui précède que les associations France Nature Environnement et Sea Shepherd France sont fondées à soutenir que les mesures de protection, prises pour assurer un état de conservation favorable des espèces protégées de petits cétacés concernées par l’incidence de la pêche dans le golfe de Gascogne, sont, au regard des règles applicables et des circonstances prévalant à la date de la présente décision, manifestement insuffisantes et à demander pour ce motif l’annulation du refus opposé à leur demande tendant à l’adoption de mesures de protection complémentaires en vue de réduire les captures accidentelles de petits cétacés dans le golfe de Gascogne.

  11. De même, l’association Défense des milieux aquatiques est fondée à demander l’annulation pour excès de pouvoir de l’arrêté du 24 décembre 2020 en tant qu’il ne prévoit pas de mesures suffisantes de nature à réduire les incidences de la pêche au bar sur les petits cétacés.

S’agissant des mesures visant à renforcer l’efficacité du système de contrôle des captures et mises à mort accidentelles :

  1. Les requérantes soutiennent que le système de contrôle des captures et mises à mort accidentelles des espèces de petits cétacés protégées ne permet pas de disposer de données précises et fiables sur les captures accidentelles de petits cétacés, sur la base desquelles des mesures de protection nécessaires pourront être prises, en méconnaissance des objectifs de l’article 12 de la directive ” Habitats “.

  2. En réponse à ce moyen, l’administration fait valoir que le système de contrôle mis en place comprend l’obligation de déclaration des captures accidentelles incombant aux capitaines de navires de pêches, prévue par l’article 4 de l’arrêté du 1er juillet 2011, ainsi que des mesures de surveillance en mer, à travers d’une part une présence renforcée d’observateurs embarqués sur les navires, ayant permis en 2021- 2022 l’observation de 7,5 % des jours de mer tous navires confondus, et d’autre part l’équipement de navires en caméras embarquées permettant le recueil des données de captures accidentelles. Enfin, la comptabilisation des échouages côtiers par le réseau national d’échouages, qui permet d’estimer a posteriori le niveau de captures accidentelles, contribue à renforcer les autres volets du système de contrôle, destinés à assurer le recueil direct des captures accidentelles.

  3. Il ressort néanmoins des pièces du dossier, et notamment des deux rapports du CIEM de 2020 et 2023, que la disponibilité et la qualité des données ainsi recueillies, qu’il s’agisse de mesurer la présence et le comportement des petits cétacés dans la zone du golfe de Gascogne, ou d’apprécier l’effort de pêche et son interaction avec la population des espèces concernées, laissent persister des niveaux élevés d’incertitude sur la fréquence et les causes des captures accidentelles. Les données issues du dispositif de déclaration, qui faisaient par exemple état de seulement 69 captures accidentelles au cours de l’hiver 2021, apparaissent manifestement sous-évaluées. Le dispositif de suivi des échouages ne permet d’estimer le niveau des captures accidentelles qu’avec un délai long et un degré d’incertitude très élevé. Le dispositif d’observateurs en mer, s’il affiche un objectif satisfaisant en termes de jours de mer observés tous navires confondus, reposait sur le volontariat, conduisant à un échantillonnage des catégories de navires inapproprié. Le dispositif de caméras embarquées ne portait que sur 20 navires en 2022, soit seulement 5 % de la flottille des navires fileyeurs. Si les arrêtés du 27 et du 29 décembre 2022 mentionnés au point 20 prévoient respectivement de rendre obligatoire la participation des navires de plus de quinze mètres au programme d’observation embarquée, en vue de la campagne d’observation 2023, et de porter progressivement, en 2023, de 20 à 100 le nombre de navires fileyeurs actifs dans le golfe de Gascogne équipés de caméras, ces mesures n’ont pas encore produit leurs effets concrets. Ainsi, à la date de la présente décision, la capacité du dispositif de contrôle à recueillir les informations suffisantes pour permettre à l’Etat de prendre les mesures de protection nécessaires pour que les captures ou mises à mort involontaires n’aient pas une incidence négative importante sur les espèces de petits cétacés protégées n’est pas établie.

  4. Il résulte de ce qui précède, sans qu’il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens soulevés sur ce point, que les associations requérantes sont fondées à soutenir que le système de contrôle des captures et mises à mort accidentelles des espèces protégées de petits cétacés, en l’état, ne satisfait pas aux objectifs de l’article 12 de la directive ” Habitats “. Dès lors, les requérantes sont fondées à demander l’annulation des décisions attaquées, en tant qu’elles refusent de mettre en oeuvre des mesures complémentaires de nature à renforcer l’efficacité de ce système de contrôle.

En ce qui concerne les conclusions à fin d’injonction :

  1. En premier lieu, l’annulation prononcée implique, à la date à laquelle le juge statue, que l’administration modifie la réglementation de telle sorte que les mesures prises en exécution de la présente décision, prises dans leur ensemble, garantissent une protection permettant d’assurer le maintien ou le rétablissement dans un état de conservation favorable du dauphin commun, du grand dauphin et du marsouin commun, en portant une attention particulière, s’agissant de ces deux dernières espèces, aux zones spéciales de conservation désignées pour leur protection. Au regard des motifs énoncés aux points 28 à 30, les mesures à prendre ne sauraient se limiter à l’extension, en cours, de l’équipement des navires en dispositifs de dissuasion acoustique, tant que n’est pas établie l’efficacité de ces dispositifs pour réduire le niveau des captures accidentelles à un niveau compatible avec un maintien en état de conservation favorable des espèces concernées, sans porter atteinte dans des conditions contraires à cet objectif à leur accès aux zones de nutrition essentielles à leur survie. Dans ces conditions, alors qu’il ne ressort pas des éléments versés au dossier que d’autres mesures seraient susceptibles d’être utilement prises pour réduire les captures accidentelles, il y a lieu, en application de l’article L. 911-1 du code de justice administrative, d’enjoindre à l’Etat d’assortir les mesures engagées ou envisagées en matière d’équipement des navires en dispositifs de dissuasion acoustique, tant que leur suffisance pour atteindre cet objectif n’est pas établie, de mesures de fermeture spatiales et temporelles appropriées, afin de garantir que l’incidence des activités de pêche dans le golfe de Gascogne sur la mortalité accidentelle des petits cétacés soit réduite à un niveau ne représentant pas une menace pour l’état de conservation de ces espèces, dans un délai de six mois à compter de la notification de la présente décision. Il n’y a pas lieu, en l’état, d’assortir ces prescriptions d’une astreinte.
  2. En second lieu, il résulte des motifs énoncés au point 38 que le caractère suffisant du système de contrôle des captures et mises à mort accidentelles au regard des exigences résultant tant du règlement ” PCP ” que de la directive ” Habitats ” n’est pas établi à la date de la présente décision. Dès lors, il y a lieu d’enjoindre à l’Etat de mettre en oeuvre des mesures complémentaires permettant d’estimer de manière fiable le nombre de captures annuelles de petits cétacés, notamment en poursuivant le renforcement du dispositif d’observation en mer, et de disposer d’éléments suffisamment précis pour définir et évaluer les mesures de conservation nécessaires, dans un délai de six mois à compter de la notification de la présente décision, sans qu’il soit nécessaire en l’état d’assortir ces prescriptions d’une astreinte.

Sur les conclusions au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :

  1. Il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de l’Etat la somme de 3 000 euros à verser à l’association France Nature Environnement et la somme de 2 000 euros à verser à l’association Sea Shepherd France, au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

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Article 1er : Les interventions de l’association Défense des milieux aquatiques au soutien des requêtes présentées par l’association France Nature Environnement et l’association Sea Shepherd France sont admises.

Article 2 : L’arrêté du 24 décembre 2020 est annulé en tant qu’il ne prévoit pas de mesures suffisantes de nature à réduire les incidences de la pêche au bar dans le golfe de Gascogne sur les petits cétacés.

Article 3 : Les décisions par lesquelles la ministre de la mer a refusé de prendre, d’une part, des mesures de protection complémentaires de nature à réduire les captures accidentelles de petits cétacés relevant d’espèces protégées dans le golfe de Gascogne et, d’autre part, des mesures complémentaires de nature à garantir l’efficacité du système de contrôle des captures et mises à mort accidentelles des mêmes espèces sont annulées.

Article 4 : Il est enjoint à l’Etat d’adopter, dans un délai de six mois à compter de la notification de la présente décision, des mesures complémentaires de nature à réduire l’incidence des activités de pêche dans le golfe de Gascogne sur la mortalité accidentelle des petits cétacés à un niveau ne représentant pas une menace pour l’état de conservation de ces espèces, en assortissant les mesures engagées ou envisagées en

matière d’équipement des navires en dispositifs de dissuasion acoustique, tant que n’est pas établie leur suffisance pour atteindre cet objectif, sans porter atteinte dans des conditions contraires à celui-ci à l’accès des petits cétacés aux zones de nutrition essentielles à leur survie, de mesures de fermeture spatiales et temporelles de la pêche appropriées.

Article 5 : Il est enjoint à l’Etat de mettre en oeuvre, dans un délai de six mois à compter de la notification de la présente décision, des mesures complémentaires permettant d’estimer de manière fiable le nombre de captures annuelles de petits cétacés, notamment en poursuivant le renforcement du dispositif d’observation en mer, et de disposer d’éléments suffisamment précis pour définir et évaluer les mesures de conservation nécessaires pour assurer que ces captures ou mises à mort involontaires n’aient pas une incidence négative importante sur ces espèces. Article 6 : L’Etat versera une somme de 3 000 euros à l’association France Nature Environnement et une somme de 2 000 euros à l’association Sea Shepherd France, au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 7 : Le surplus des conclusions des associations requérantes est rejeté.

Article 8 : La présente décision sera notifiée aux associations France Nature Environnement, Défense des milieux aquatiques et Sea Shepherd France, au ministre de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire, au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires et à la Première ministre.

Copie en sera adressée à la section du rapport et des études.

Délibéré à l’issue de la séance du 24 février 2023 où siégeaient : M. Jacques-Henri Stahl, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Stéphane Verclytte, M. Pierre Collin présidents de chambre ; M. Christian Fournier, M. Géraud Sajust de Bergues, M. Hervé Cassagnabère, M. Jonathan Bosredon, M. Pierre Boussaroque, conseillers d’Etat et M. Nicolas Jau, auditeur-rapporteur.

Rendu le 20 mars 2023.


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