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MILIEUX AQUATIQUES

Poissons marins

Les organismes marins exploités par l’Union Européenne sont soumis – pour certaines espèces seulement – à un plafond de capture communautaire appelé Total Autorisé de Capture ou TAC. On parle aussi de quota, terme qui désigne plutôt les portions de TAC qui sont ensuite allouées aux différents métiers voire aux différents pêcheurs.

Le Centre International pour l’Exploration de la mer (CIEM) publie au préalable son avis sur cette question qui est au centre de la Politique Commune de la Pêche (PCP). En effet, la PCP est basée – depuis 2013 seulement – sur le principe suivant qui voudrait que la pêche serait durable à condition que les captures ne dépassent pas un plafond baptisé Rendement Maximal Durable (RMD). Ces RMD qui fluctuent chaque année en fonction de l’état des stocks garantiraient les tonnages débarqués au fil des ans sans que soient menacés lesdits stocks. Pour nous, le RMD n’est qu’un garde fou largement améliorable, à la fois sur le plan environnemental et sur le plan socio-économique et devrait être remplacé par la notion de Rendement Maximal Économique. Après le CIEM, c’est la Commission européenne qui donne en octobre de chaque année la valeur des TACs qui devraient être adoptés selon elle. Puis ces plafonds sont finalement fixés pour chaque espèce par le conseil des ministres de la pêche des États membres au terme d’une réunion de deux jours, aussi brève qu’opaque, tous les ans à BRUXELLES dans la première quinzaine de décembre. Les « négociations » durent à chaque fois jusqu’à la fin de la nuit, à l’heure des parties de poker. Ce n’est plus l’heure de la science mais celui du marchandage.

Ouest-France a révélé en janvier 2010 comment “le président du comité national de la pêche, le berckois Pierre-Georges Dachicourt est l’un des interlocuteurs privilégiés de Bruno Le Maire” puisque “de son portable il peut joindre le ministre de la Pêche à tout instant”.

DACHICOURT se vante d’avoir obtenu dans les années 2000 cinq cent millions d’aides de la part de l’État grâce à la succession des crises si bien décrites par Benoît MESNIL. Il précise aussi comment se font les négociations entre ministres de la pêche pour décrocher les plus gros quotas possibles :

« C’est le ministre de la Pêche qui négocie mais sur les propositions du comité national de la pêche. Nous, on est dans une pièce à côté et on communique par textos. C’est la nuit des longs couteaux, la semaine des marchands de tapis, sourit Pierre-Georges Dachicourt. On en ressort littéralement épuisé. »

Dans ces conditions, le décalage entre les niveaux retenus par les politiques et ceux préconisés par les scientifiques a été quasi systématique et souvent très élevé. Des publications ont démontré que chaque année les ministres ne tenaient pas compte des avis scientifiques et fixaient des TAC beaucoup trop élevés pour espérer une exploitation durable. Dans ces conditions, les stocks sont restés dans des états de surexploitation sévère et l’objectif fixé en 2013 de mettre fin à la surpêche et de fixer ces TACs à des niveaux permettant d’atteindre le Rendement Maximum Durable en 2020 au plus tard a été manqué.

En mai 2020, ClientEarth, BLOOM et DÉFENSE DES MILIEUX AQUATIQUES ont donc attaqué l’État français pour son rôle dans le caractère excessif des TAC fixés chaque année. Cette affaire n’a été révélée au public que dans un communiqué de presse de fin juin 2021 quand les trois associations ont annoncé que l’État n’avait toujours pas produit le moindre mémoire en défense.

Celui sort de son silence en novembre 2021, après avoir joué la montre pendant presque un an et demi, juste avant la clôture de l’instruction, ce qui va forcer le juge à la prolonger jusqu’au 31 janvier 2022. Jouer la montre, la stratégie habituelle de l’administration. Pendant ce temps, rien ne change sous l’eau …

Pourtant, l’objectif principal est atteint avant même que l’affaire soit jugée devant le tribunal de Paris. En effet, la même initiative avait été initiée en Irlande à travers l’association FRIENDS OF THE IRISH ENVIRONMENT. Le 8 février 2022, le verdict irlandais tombe : la Cour Irlandaise saisit la Cour de l’Union Européenne pour lui poser la question préjudicielle suivante préparée avec grand soin.

En substance, il s’agit de fixer, dans le contexte de l’objectif réglementaire d’atteindre le RMD au plus tard en 2020, la force contraignante des avis scientifiques vis-à-vis des décisions politiques. Question centrale et majeure dont la réponse espérée moralisera par la force des choses le spectacle désolant des grands marchandages de décembre à Bruxelles.