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MILIEUX AQUATIQUES

JUGEMENT DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF DE BORDEAUX N° 2303720

Suspension du chalutage dans les 3 miles du bassin d'Arcachon, suspension de l'arrêté du 6 juillet 2023

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TRIBUNAL ADMINISTRATIF DE BORDEAUX N° 2303720

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ASSOCIATION DÉFENSE DES MILIEUX AQUATIQUES et M. ROSPIDEGARAY


M. Julien Dufour Juge des référés


Audience du 24 juillet 2023 Ordonnance du 8 août 2023


D

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

Le juge des référés

Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 11 et 23 juillet 2023, l’association Défense des milieux aquatiques (DMA) et M. Olivier Rospidegaray demandent au juge des référés :

1°) d’ordonner, sur le fondement des dispositions de l’article L. 521-1 du code de justice administrative, la suspension de l’exécution de l’arrêté du 6 juillet 2023 portant réglementation de l’usage des filets remorqués à moins de trois milles de la laisse de basse-mer du littoral du département de la Gironde, jusqu’à ce qu’il soit statué au fond sur la légalité de cette décision ;

2°) de mettre à la charge de l’État une somme de 2 500 euros en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

L’association DMA et M. Rospidegaray soutiennent que :

Par un mémoire en défense, enregistré le 20 juillet 2023, le préfet de la région Nouvelle- Aquitaine conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par l’association DMA et M. Rospidegaray ne sont pas fondés.

Vu :

Vu :

Vu la décision du 4 janvier 2023 par laquelle la présidente du tribunal a désigné M. Dufour pour exercer les fonctions de juge des référés.

Au cours de l’audience publique tenue en présence de Mme Gioffré, greffière d’audience, le 24 juillet 2023 à 10h, M. Dufour a lu son rapport et entendu : -les observations de M. Garcia, représentant l’association Défense des milieux aquatiques, et de M. Rospidegaray, qui reprennent leurs écritures sans soulever de nouveau moyen ; -les observations de M. Poirier, représentant le préfet de la région Nouvelle-Aquitaine, qui reprend ses écritures sans soulever de nouveau moyen.

La clôture de l’instruction a eu lieu à l’issue de l’audience, en application de l’article R. 522-8 du code de justice administrative.

Considérant ce qui suit :

  1. L’association Défense des milieux aquatiques et M. Rospidegaray demandent au juge des référés, statuant sur le fondement, à titre principal, de l’article L. 122-11 du code de l’environnement ou, à titre subsidiaire, de l’article L. 521-1 du code de justice administrative, de suspendre l’exécution de l’arrêté du 6 juillet 2023 par lequel le préfet de la région Nouvelle- Aquitaine a fixé les modalités de dérogation à l’interdiction de l’usage des filets remorqués à moins de trois milles de la laisse de basse-mer des côtes du département de la Gironde.

Sur les conclusions présentées sur le fondement de l’article L. 122-11 du code de l’environnement :

  1. Aux termes de l’article L. 414-4 du code de l’environnement : « _I. – Lorsqu’ils sont susceptibles d’affecter de manière significative un site Natura 2000, individuellement ou en raison de leurs effets cumulés, doivent faire l’objet d’une évaluation de leurs incidences au regard des objectifs de conservation du site, dénommée ci-après ” Evaluation des incidences Natura 2000 ” : / 1° Les documents de planification qui, sans autoriser par eux-mêmes la réalisation d’activités, de travaux, d’aménagements, d’ouvrages ou d’installations, sont applicables à leur réalisation ; (…) / II bis. – Les activités de pêche maritime professionnelle s’exerçant dans le périmètre d’un ou de plusieurs sites Natura 2000 font l’objet d’analyses des risques d’atteinte aux objectifs de conservation des sites Natura 2000, réalisées à l’échelle de chaque site, lors de l’élaboration ou de la révision des documents d’objectifs mentionnés à l’article L. 414-2. Lorsqu’un tel risque est identifié, l’autorité administrative prend les mesures réglementaires pour assurer que ces activités ne portent pas atteinte aux objectifs de conservation du site, dans le respect des règles de la politique commune de la pêche maritime. Ces activités sont alors dispensées d’évaluation d’incidences sur les sites Natura 2000. / III. – Sous réserve du IV bis, les documents de planification, programmes ou projets ainsi que les manifestations ou interventions soumis à un régime administratif d’autorisation, d’approbation ou de déclaration au titre d’une législation ou d’une réglementation distincte de Natura 2000 ne font l’objet d’une évaluation des incidences Natura 2000 que s’ils figurent : / 1° Soit sur une liste nationale établie par décret en Conseil d’Etat ; / 2° Soit sur une liste locale, complémentaire de la liste nationale, arrêtée par l’autorité administrative compétente. / IV. – Tout document de planification, programme ou projet ainsi que toute manifestation ou intervention qui ne relève pas d’un régime administratif d’autorisation, d’approbation ou de déclaration au titre d’une législation ou d’une réglementation distincte de Natura 2000 peut être soumis à autorisation en application de la présente section et fait alors l’objet d’une évaluation des incidences Natura

  2. Sans préjudice de l’application du IV bis, une liste locale des documents de planification, programmes ou projets ainsi que des manifestations ou interventions concernés est arrêtée par l’autorité administrative compétente parmi ceux figurant sur une liste nationale de référence établie par décret en Conseil d’Etat. / IV bis. ― Tout document de planification, programme ou projet ainsi que manifestation ou intervention susceptible d’affecter de manière significative un site Natura 2000 et qui ne figure pas sur les listes mentionnées aux III et IV fait l’objet d’une évaluation des incidences Natura 2000 sur décision motivée de l’autorité administrative. (…) / IX. ― L’article L. 122-12 est applicable aux décisions visées aux I à V prises sans qu’une évaluation des incidences Natura 2000 ait été faite_ ». Et aux termes de ces dernières dispositions, devenues L. 122-11 du code de l’environnement : « Si une requête déposée devant la juridiction administrative contre une décision d’approbation d’un plan ou d’un programme visé à l’article L. 122-4 est fondée sur l’absence d’évaluation environnementale, le juge des référés, saisi d’une demande de suspension de la décision attaquée, y fait droit dès que cette absence est constatée ».

  3. L’arrêté attaqué prévoit que, par dérogation à l’article D. 922-16 du code rural et de la pêche maritime, les couples armateur-navire armés aux chaluts pélagiques à panneaux et aux chaluts de fond à panneaux peuvent être autorisés à utiliser un filet remorqué dans un périmètre défini à l’intérieur de la zone des trois milles de la laisse de basse mer des côtes du département de la Gironde. L’arrêté prévoit une période de pêche, du 1er juin au 31 octobre, fixe la puissance et la longueur maximales des navires, limite de nombre d’autorisations susceptibles d’être délivrées à quatre, et réglemente le type de filets utilisés par les chaluts de fond ainsi que les modalités d’agrément annuel de ce matériel. Enfin, il prévoit qu’un bilan annuel sera effectué, permettant de rendre compte de l’intensité de l’activité de pêche et de la pression exercée sur les principales espèces. Eu égard à son contenu, cet arrêté doit être regardé comme un document de planification au sens de l’article L. 414-4 du code de l’environnement.

  4. D’une part, il ressort des pièces du dossier que le périmètre dérogatoire comprend une partie de deux zones spéciales de conservation, au nord « portion du littoral sableux de la côté Aquitaine » et au sud « Bassin d’Arcachon et Cap-Ferret », qui ont notamment toutes deux vocation à protéger les habitats constitués de bancs de sable à faible couverture permanente d’eau marine et les replats boueux ou sableux exondés à marée basse, ainsi que les espèces tursiop troncatus (grand dauphin) et également, pour la seconde, phocoena phocoena (marsouin commun) et acipenser sturio (esturgeon d’Europe). Le formulaire standard de données de la seconde mentionne également que l’embouchure du bassin, qui est couvert de sédiments sableux, est un habitat important pour plusieurs espèces de poissons benthiques, et que la tortue Luth y est observée pendant la période estivale.

  5. D’autre part, il ressort des pièces du dossier, notamment des études menées par l’Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer (IFREMER), que l’utilisation des engins trainants dans la bande côtière est particulièrement néfaste pour la protection des ressources car dégradant les habitats constituant des nourriceries pour de nombreuses espèces, et en particulier les sables infralittoraux protégés au titre des deux zones Natura 2000. S’agissant de l’esturgeon, les captures accidentelles, notamment par les chaluts de fond, sont identifiées comme l’une des principales causes de mortalité de cette espèce dont la pêche est interdite depuis 1982. Certes, l’arrêté attaqué limite la pression exercée par les filets remorqués en encadrant, ainsi qu’il a été dit, le nombre et la puissance des navires, la durée de la saison de pêche, et en autorisant uniquement les gréements « légers » pour réduire les efforts de frottement sur les fonds marins. S’agissant de ces engins trainants, le risque de dégradation des habitats a été évalué comme faible, et donc non-significatif, sur la base d’études de l’Agence française de biodiversité (AFB), pour les deux zones spéciales de conservation, dans le cadre des travaux menés en vue d’une analyse des risques de pêche par le parc naturel marin du bassin d’Arcachon et le comité de pilotage de la zone Natura 2000 « Portion du littoral sableux de la côte Aquitaine ». Toutefois, ainsi que le font valoir les requérants, les limitations ne concernent pas la fréquence de rotation des chaluts pendant la saison de pêche, ni leur taille, si bien que la surface affectée n’est pas contrôlée, ni les dimensions du maillage, et ne s’intéressent pas à l’abrasion exercée par les panneaux divergents et les entremises. En outre, le type de gréement utilisé est sans incidence sur le phénomène de capture accidentelle. Par ailleurs, compte tenu du manque de données, le conseil de gestion du parc naturel marin du bassin d’Arcachon a, par sa délibération du 27 juin 2022, refusé de valider le niveau de risque « faible » pour les chaluts de fond à panneau standard, lequel sera défini ultérieurement. S’agissant de la zone « portion du littoral sableux de la côte Aquitaine », il résulte des cartes extraites de l’étude de l’AFB produites en défense que le risque lié à l’utilisation des gréements légers serait « modéré » pour une partie des habitats, ceux de sables grossiers et graviers et des affleurements. Il ressort également des avis de l’IFREMER des 17 avril et 25 mai 2023 que l’impact de ces engins, même dans le cadre posé par l’arrêté attaqué, n’est pas négligeable. Enfin, s’il est soutenu en défense que l’exploitation par la pêche, notamment par la présence d’observateurs embarqués, est un moyen de renforcer les connaissances sur les milieux en vue de leur protection, le chalutage de fond n’apparaît dans cette optique ni nécessaire, ni particulièrement adapté. Dans ces conditions, la pêche aux filets remorqués dans le périmètre des sites Natura 2000 doit être regardée comme susceptible d’affecter de manière significative les objectifs de conservation de ces sites.

  6. Le préfet de la région Nouvelle-Aquitaine soutient néanmoins qu’à l’échelle de chacun des deux sites, une analyse des risques de ces modes de pêche au sens du II bis de l’article L. 414-4 du code de l’environnement a été réalisée. Toutefois, il ressort des termes mêmes de l’arrêté attaqué que ces analyses de risques ne sont pas achevées. Ainsi, elles ne portent que sur les habitats marins et non sur les espèces d’intérêt communautaire, la méthode d’évaluation des risques pour celles-ci n’ayant toujours pas été définie. En outre, ainsi qu’il a été dit, la détermination du niveau de risque est indiquée comme « en attente » dans le document produit en défense intitulé « Etat d’avancement de l’étude sur les interactions entre les activités de pêche professionnelle et les richesses naturelles du bassin d’Arcachon valant analyse des risques Pêche pour les sites Natura 2000 du bassin d’Arcachon ». S’agissant de la zone « Portion de littoral sableux de la côte Aquitaine », la seule pièce produite est un compte rendu d’une réunion du comité de pilotage en date du 23 juin 2023 et non l’analyse des risques sur les habitats, ni même le volet opérationnel du document d’objectifs qui a été validé au cours de cette séance. Dès lors, l’édiction de l’arrêté attaqué n’était pas dispensée d’une évaluation des incidences de l’activité de pêche qu’il encadre sur les zones spéciales de conservation « portion du littoral sableux de la côté Aquitaine » et au sud « Bassin d’Arcachon et Cap-Ferret ».

  7. Cette évaluation n’ayant pas été faite, il y a lieu d’ordonner la suspension de l’exécution de l’arrêté du préfet de la région Nouvelle-Aquitaine en date du 6 juillet 2023 en tant qu’il réglemente, par dérogation à l’article D. 922-16 du code rural et de la pêche maritime, l’utilisation des filets remorqués dans la partie des zones spéciales de conservation « portion du littoral sableux de la côté Aquitaine » et « Bassin d’Arcachon et Cap-Ferret » situées à moins de trois milles de la laisse de basse-mer, jusqu’à ce qu’il soit statué au fond sur sa légalité.

Sur les conclusions présentées sur le fondement de l’article L. 521-1 du code de justice administrative :

  1. Aux termes de l’article L. 521-1 du code de justice administrative : « Quand une décision administrative, même de rejet, fait l’objet d’une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d’une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l’exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l’urgence le justifie et qu’il est fait état d’un moyen propre à créer, en l’état de l’instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision. (…) ».

  2. Il résulte de ces dispositions que la condition d’urgence à laquelle est subordonné le prononcé d’une mesure de suspension doit être regardée comme remplie lorsque la décision contestée préjudicie de manière suffisamment grave et immédiate à un intérêt public, à la situation du requérant ou aux intérêts qu’il entend défendre. Il appartient au juge des référés, saisi d’une demande tendant à la suspension d’une telle décision, d’apprécier concrètement, compte-tenu des justifications fournies par le requérant, si les effets de celle-ci sur la situation de ce dernier ou le cas échéant, des personnes concernées, sont de nature à caractériser une urgence justifiant que, sans attendre le jugement de la requête au fond, l’exécution de la décision soit suspendue.

  3. L’association requérante et M. Rospidegaray soutiennent que les captures accidentelles de deux espèces en danger critique d’extinction selon la classification de l’union internationale pour la conservation de la nature (UICN), l’ange de mer commun (squatina squatina) et l’esturgeon européen (acipenser sturio) par les chaluts de fond justifient de l’urgence qui s’attacherait à la suspension de l’arrêté au-delà des deux zones de conservation spéciale. Si les pièces du dossier désignent, de la même manière que pour l’esturgeon, les prises accidentelles comme l’une des principales menaces pesant sur la survie de l’ange de mer, outre la dégradation de leur habitat constitué des fonds sableux, il ne ressort pas des pièces du dossier, compte tenu tant du périmètre géographique concerné que de la durée limitée de l’utilisation des filets remarqués, de la date de notification de l’ordonnance au 31 octobre 2023, qu’un préjudice grave pour ces espèces justifierait l’intervention du juge des référés sur le fondement de l’article L. 521-1 du code de justice administrative.

  4. Il résulte de ce qui précède, sans qu’il soit besoin de se prononcer sur l’existence d’un moyen propre à créer un doute sérieux quant à la légalité de la décision, que les conclusions présentées sur le fondement de l’article L. 521-1 du code de justice administrative doivent être rejetées.

O R D O N N E :

Article 1er : L’exécution de l’arrêté du préfet de la région Nouvelle-Aquitaine en date du 6 juillet 2023 en tant qu’il réglemente, par dérogation à l’article D. 922-16 du code rural et de la pêche maritime, l’utilisation des filets remorqués dans la partie des zones spéciales de conservation « portion du littoral sableux de la côté Aquitaine » et « Bassin d’Arcachon et Cap- Ferret » située à moins de trois milles de la laisse de basse-mer est suspendue, jusqu’à ce qu’il soit statué au fond sur la légalité de cette décision.

Article 2 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée à l’association Défense des milieux aquatiques, à M. Olivier Rospidegaray et au ministre de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire.

Copie en sera transmise pour information au préfet de la région Nouvelle-Aquitaine (direction interrégionale de la mer)

Fait à Bordeaux, le 7 août 2023.

Le juge des référés, La greffière,

J. DUFOUR C. GIOFFRE

La République mande et ordonne au préfet de la Gironde en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l’exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme, La greffière,


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