TRIBUNAL ADMINISTRATIF DE LYON N° 2301886
___________
ASSOCIATION DÉFENSE DES MILIEUX
AQUATIQUES (DMA) et autres
M. Juan Segado Juge des référés
Audience du 29 mars 2023 Ordonnance du 3 avril 2023
54-035-02-03- C -
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
Le juge des référés
Vu la procédure suivante :
Par une requête et un mémoire complémentaire enregistrés les 9 et 29 mars 2023 sous le n° 2301886, l’association Défense des milieux aquatiques (DMA), la Fédération départementale des pêches du département du Vaucluse et l’association «Silurus Glanis» (SGA), ayant comme représentant unique l’association Défense des milieux aquatiques (DMA), représentées par Me Crecent, demandent au juge des référés :
1°) d’ordonner, à titre principal sur le fondement des dispositions des articles L. 122- et L. 414-4 du code de l’environnement, à titre subsidiaire sur le fondement de l’article L. 521- du code de justice administrative, la suspension de l’exécution de l’arrêté n°2022-43 du 1er mars 2022 du préfet de la région Auvergne-Rhône-Alpes et du département du Rhône portant approbation du plan de gestion des poissons migrateurs (PLAGEPOMI) 2022-2027 du bassin Rhône-Méditerranée, en ce qu’il autorise la pêche de l’alose feinte et de la lamproie marine ;
2°) d’enjoindre à la préfète de la région Auvergne-Rhône-Alpes d’interdire la pêche aux engins et filets des aloses feintes et des lamproies marine en mer et en rivière et de mettre en œuvre les mesures techniques d’accompagnement suivantes :
- relâcher obligatoire de toute alose feinte pêchée à la ligne dans le respect de l’état de l’art garantissant les meilleures chances de survie,
- mise en œuvre des mesures d’évitement en rivière et en mer, au-delà de la limite transversale de la mer, pour réduire les captures d’aloses au minimum,
- relâcher et déclaration obligatoire de toute lamproie marine et de toute alose feinte piégée dans un engin ou un filet, qu’il soit amateur ou professionnel,
- interdiction formelle de commercialisation (vente directe ou indirecte) de ces deux espèces ;
3°) de mettre à la charge de l’Etat le versement à d’une somme de 2 000 euros en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elles soutiennent que :
- elles ont intérêt à agir au regard de leur objet social et leurs présidents ont été autorisés à ester en justice ;
- leurs conclusions dirigées contre le PLAGEPOMI sont recevables la préfète estimant à tort en défense que le PLAGEPOMI ne serait pas un texte règlementaire et qu’il n’aurait pas pour objet la pêche de la lamproie marine et de l’alose feinte, de tels plans ayant déjà été suspendus par les juges administratifs et compte tenu particulièrement du 4° de l’article R. 436- 45 du code de l’environnement ;
- ses conclusions aux fins d’injonction sont recevables, ont un effet utile, portent sur des mesures d’évitement en lien avec l’article R. 436-45 du code de l’environnement, ces mesures de protection étant en lien avec l’article 6 de la directive habitat et l’article L. 414-1 du code de l’environnement,
- l’arrêté doit être suspendu à titre principal sur le fondement des dispositions de l’article L. 122-11 et L. 414-4 du code de l’environnement en raison de l’absence d’une évaluation des incidences « Natura 2000 » dès lors que :
- le bassin Rhône Méditerranée comprend 21 sites « Natura 2000 » faisant mention de la présence de l’alose feinte soit 4 sites en région Auvergne-Rhône-Alpes, 10 en Occitanie et 7 en Provence-Alpes-Côte-d’Azur, et 10 sites « Natura 2000 » faisant mention de la présence de la lamproie marine soit 2 sites sont en région Auvergne-Rhône-Alpes, 5 en Occitanie et 3 en Provence-Alpes-Côte-d’Azur ;
- l’arrêté litigieux réglemente ainsi l’exercice de la pêche fluviale et maritime, a pour objet d’autoriser divers modes de captures intentionnelles des espèces Alosa fallax (alose feinte) et Petromyzon marinus (lamproie marine) à l’échelle des cours d’eau des départements du bassin Rhône-Méditerranée, soit directement dans certains tronçons de cours d’eaux concernés par les sites Natura 2000 y compris indirectement sur tous les tronçons de cours d’eau concernés par un site Natura 2000 ;
- ces activités de pêche ont un effet défavorable sur la conservation de ces espèces au sein des sites Natura 2000 ;
- concernant l’absence d’évaluation d’incidence dans les zones maritimes du bassin du Rhône, l’arrêté n’a été précédé d’aucune analyse des risques, alors qu’il n’est pas établi l’absence d’incidences Natura 2000 significatives du programme de pêche maritime ainsi autorisé sur les intérêts piscicoles protégés par des sites classés Natura 2000, et qu’aucune mesure réglementaire n’assure que la pêche au filet dans les tronçons maritimes des cours d’eau concernés ne porte pas atteinte aux objectifs de conservation des sites en manquement aux dispositions du I et II bis de l’article L. 414-4 du code de l’environnement ;
- concernant l’absence d’évaluation d’incidence dans les zones fluviales du bassin du Rhône, l’arrêté n’a été précédé d’aucune évaluation des incidences, alors qu’il n’est pas établi l’absence d’incidences Natura 2000 significatives du programme de pêche fluviale autorisé sur les intérêts piscicoles protégés par les sites classés Natura 2000 précités, en manquement aux dispositions du I et IV bis de l’article L. 414-4 du code de l’environnement, qui l’organise spécialement en l’absence de mention de ce type de décision administrative sur les listes nationales et régionales prises en application des III et IV dudit article ;
- l’arrêté litigieux sera ainsi suspendu en raison du manquement aux dispositions des I, II bis et IV bis de l’article L. 414-4 et R. 414-23 du code de l’environnement, en l’absence d’études d’incidences Natura 2000 réalisée avant la prise de décision préfectorale portant sur la réglementation relative à l’exercice de la pêche dans les départements du bassin Rhône- Méditerranée ;
- l’arrêté doit être suspendu, à titre subsidiaire, sur le fondement de l’article L. 521-1 du code de justice administrative dès lors que :
- la condition d’urgence est remplie en ce que :
- l’exécution du PLAGEPOMI cause directement des atteintes graves à des espèces protégées (la lamproie marine et l’alose feinte) dans un état de conservation défavorable ; ainsi, la lamproie marine et l’alose feinte sont dans un état de conservation critique alors que l’arrêté contesté renouvelle l’autorisation de la pêche ciblant ces espèces du second samedi de mars au troisième dimanche de septembre ;
- l’urgence est constituée car les périodes d’ouverture de pêche correspondent exactement aux périodes de pleine migration, ce qui sera d’autant plus impactant pour ces espèces ;
- l’urgence résulte de la gravité et de l’immédiateté de l’atteinte du contenu du PLAGEPOMI sur les intérêts qu’elles défendent ;
- l’arrêté viole des dispositions du droit européen ;
- il existe un doute sérieux quant à la légalité de l’arrêté contesté dès lors que :
- cet arrêté méconnaît les § 1, 2 et 3 de l’article 6 de la directive habitat et les articles L. 414-1 et L. 414-4 du code de l’environnement compte tenu de l’absence d’évaluation des incidences Natura 2000 sur les espèces alose et lamproie, de l’absence de mesures appropriées permettant le maintien et le rétablissement des espèces dans un état de conservation favorable ;
- cet arrêté méconnaît l’article 14 de cette directive ;
- il méconnaît le principe de précaution prévu à l’article 191 du traité sur le fonctionnement de l’union européenne, à l’article 5 de la Charte de l’environnement et l’article L. 110-1 du code de l’environnement et est ainsi entaché d’une erreur manifeste d’appréciation dans l’application de ce principe ;
- il méconnaît les dispositions de l’article L. 129-9 du code de l’environnement.
Par un mémoire en défense, enregistré le 27 mars 2023, la préfète coordonnatrice du Bassin Rhône-Méditerranée, Préfète de la région Auvergne-Rhône-Alpes et du département du Rhône, conclut au rejet de la requête à titre principal, comme irrecevable et, à titre subsidiaire, comme non fondée.
Elle soutient que :
-
la requête en référé suspension est irrecevable dès lors que les conclusions de la requête au fond visant à l’annulation du PLAGEPOMI « en ce qu’il autorise la pêche de l’alose feinte et de la lamproie marine » sont irrecevables, en ce que le PLAGEPOMI n’a pas pour objet, ni pour effet, d’autoriser la pêche ;
-
les conclusions aux fins d’injonction sont par voie de conséquence irrecevables ;
-
concernant les mesures d’interdiction sollicitées, la suspension ne saurait impliquer l’interdiction générale et absolue de la pêche de ces espèces, par l’autorité compétente qui ne peut que la limiter ; au surplus, l’autorité compétente en la matière n’est pas nécessairement le préfet coordonnateur de bassin alors que les périodes d’ouverture de la pêche relèvent du préfet de département et la limitation de la pêche, du « préfet de région » (R.436-63) ; en tout état de cause, le préfet de région n’est pas tenu de mettre en œuvre les dispositions éventuellement prévues par le COGEPOMI en la matière ;
-
concernant les mesures d’évitement, il est demandé l’adoption de mesures « prises par actes réglementaires », de nature à éviter les « captures accidentelles » alors que les requérants ne précisent pas le fondement de tels actes réglementaires pour l’adoption de telles mesures au demeurant sans lien avec le PLAGEPOMI ;
-
concernant la mise en œuvre des mesures techniques d’accompagnement, les requérants souhaitent encadrer les activités de pêche ;
-
la condition d’urgence n’est pas remplie dès lors que :
- s’agissant de la lamproie marine, cette espèce ne fait pas actuellement l’objet d’une exploitation commerciale, et le risque effectif de capture, compte tenu de l’absence de démonstration de la présence de l’espèce dans les cours d’eau du bassin Rhône-Méditerranée, ne parait pas caractérisé ;
- s’agissant de l’alose feinte, cette espèce ne fait pas actuellement l’objet d’une exploitation commerciale et une progression de la colonisation est mise en évidence ; l’augmentation de l’aire de répartition naturelle, et corrélativement des effectifs de l’espèce, ne permettent pas de caractériser un état de conservation défavorable au regard des critères de la directive habitats, repris à l’article R. 161-3 du code de l’environnement ;
- le PLAGEPOMI ne doit pas faire l’objet d’une évaluation des incidences Natura 2000 ;
- aucun moyen soulevé par les requérantes n’est de nature à créer un doute sérieux sur la légalité de la décision contestée.
Vu :
- la requête n° 2204159, enregistrée le 1er juin 2022, par laquelle les associations requérantes demandent l’annulation de la décision contestée ;
- les autres pièces du dossier.
Vu :
- la Constitution ;
- la Charte de l’environnement ;
- la directive 92/43/CEE du conseil du 21 mai 1992 ;
- le règlement 1881/2006 du 19 décembre 2006 de la Commission ;
- le code de l’environnement ;
- le code de justice administrative.
La présidente du tribunal a désigné M. Segado, vice-président, pour statuer sur les demandes de référé.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.
Au cours de l’audience publique tenue en présence de Mme Driguzzi, greffière d’audience, M. Segado a lu son rapport et entendu les observations :
- de Me Crecent et M. Garcia, président de l’association Défense des milieux aquatiques, pour les associations requérantes, qui ont repris les faits, moyens et conclusions exposés dans leurs écritures, en insistant notamment sur la recevabilité des conclusions de la requête, en rappelant la nature et la portée du PLAGEPOMI au regard de la jurisprudence des tribunaux administratifs et du Conseil d’Etat et des dispositions du code de l’environnement, sur l’état de conservation de la lamproie marine et de l’alose feinte dans le bassin et les zones Natura 2000, sur les incidences de la pêche sur ces espèces et sur l’absence d’une évaluation des incidences sur ces aires Natura 2000 ;
- de M. Vidy, représentant la préfète de la région Auvergne-Rhône-Alpes et du département du Rhône, qui a repris les faits, moyens et conclusions exposés dans les écritures en défense, en exposant particulièrement la nature et la portée du Plan contesté qui reprend les dispositions nationales relatives à la règlementation de la pêche et n’a pas pour objet d’autoriser la pêche, la situation de lamproie marine et l’alose feinte dans le bassin et les zones Natura 2000, les orientations mises en œuvre pour ces espèces et les effets de la pêche sur ces espèces,
Considérant ce qui suit :
- Par un arrêté n°2022-43 en date du 1er mars 2022, le préfet de la région Auvergne- Rhône-Alpes et du département du Rhône a approuvé le plan de gestion des poissons migrateurs (PLAGEPOMI) 2022-2027 du bassin Rhône-Méditerranée. Ce nouveau PLAGEPOMI a notamment, dans le cadre de son orientation 2, décidé la poursuite de la gestion des pêches en précisant la réglementation relative à la pêche de l’alose feinte et de la lamproie marine. Par la présente requête, l’associations Défense des milieux aquatiques (DMA), la Fédération départementale des pêches du département du Vaucluse et l’association «Silurus Glanis» (SGA), demandent au juge des référés d’ordonner, à titre principal sur le fondement des dispositions des articles L. 122-11 et L. 414-4 du code de l’environnement, et à titre subsidiaire sur le fondement de l’article L. 521-1 du code de justice administrative, la suspension de l’exécution de cet arrêté du 1er mars 2022 du préfet de la région Auvergne-Rhône-Alpes et du département du Rhône portant approbation du plan de gestion des poissons migrateurs (PLAGEPOMI) 2022-2027 du bassin Rhône-Méditerranée, en ce qu’il autorise la pêche de l’alose feinte et de la lamproie marine ».
Sur les conclusions aux fins de suspension :
-
D’une part, aux termes de l’article L. 122-11 du code de l’environnement : « Si une requête déposée devant la juridiction administrative contre une décision d’approbation d’un plan ou d’un programme visé à l’article L. 122-4 est fondée sur l’absence d’évaluation environnementale, le juge des référés, saisi d’une demande de suspension de la décision attaquée, y fait droit dès que cette absence est constatée ».
-
Aux termes de l’article L. 414-1 du code précité : « (…) IV. Les sites désignés comme zones spéciales de conservation et zones de protection spéciale par décision de l’autorité administrative concourent, sous l’appellation commune de ” sites Natura 2000 ”, à la formation du réseau écologique européen Natura 2000. / V. Les sites Natura 2000 font l’objet de mesures destinées à conserver ou à rétablir dans un état favorable à leur maintien à long terme les habitats naturels et les populations des espèces de faune et de flore sauvages qui ont justifié leur délimitation. Les sites Natura 2000 font également l’objet de mesures de prévention appropriées pour éviter la détérioration de ces mêmes habitats naturels et les perturbations de nature à affecter de façon significative ces mêmes espèces… ». Aux termes de l’article L. 414-2 de ce code : « Pour chaque site Natura 2000, un document d’objectifs définit les orientations de gestion, les mesures prévues à l’article L. 414-1, les modalités de leur mise en œuvre et les dispositions financières d’accompagnement ». Aux termes de l’article L. 414-4 du même code : « I. Lorsqu’ils sont susceptibles d’affecter de manière significative un site Natura 2000, individuellement ou en raison de leurs effets cumulés, doivent faire l’objet d’une évaluation de leurs incidences au regard des objectifs de conservation du site, dénommée ci-après ” Evaluation des incidences Natura 2000 ” : / 1° Les documents de planification qui, sans autoriser par eux-mêmes la réalisation d’activités, de travaux, d’aménagements, d’ouvrages ou d’installations, sont applicables à leur réalisation ; (…). / IV bis. Tout document de planification, programme ou projet ainsi que manifestation ou intervention susceptible d’affecter de manière significative un site Natura 2000 et qui ne figure pas sur les listes mentionnées aux III et IV fait l’objet d’une évaluation des incidences Natura 2000 sur décision motivée de l’autorité administrative. / (…) IX. L’article L. 122-12 [devenu article L. 122-11] est applicable aux décisions visées aux I à V prises sans qu’une évaluation des incidences Natura 2000 ait été faite_ ».
-
D’autre part, aux termes de l’article R. 436-45 du code de l’environnement « Un plan de gestion des poissons migrateurs détermine, par bassin, par cours d’eau ou par groupe de cours d’eau : 1° Les mesures utiles à la reproduction, au développement, à la conservation et à la circulation de ces poissons, sous réserve des dispositions prévues par l’article L. 432-6 ; 2° Les modalités d’estimation des stocks et d’estimation de la quantité qui peut être pêchée chaque année ; 3° Les plans d’alevinage et les programmes de soutien des effectifs ; 4° Les conditions dans lesquelles sont fixées les périodes d’ouverture de la pêche ; 5° Les modalités de la limitation éventuelle des pêches, qui peuvent être adaptées en fonction des caractéristiques propres à la pêche professionnelle et à la pêche de loisir ; 6° Les conditions dans lesquelles sont délivrés et tenus les carnets de pêche, sous réserve des dispositions de l’article R. 436-64 (…)/ Le plan a une durée de six ans (…) ». Aux termes de l’article R. 436-57 dudit code : « Les périodes d’ouverture de la pêche des poissons appartenant aux espèces mentionnées à l’article R. 436-44, à l’exception de l’anguille, sont arrêtées conformément au plan de gestion des poissons migrateurs, mentionné aux articles R. 436-45 et R. 436-46, par le préfet de département pour la pêche en eau douce et par le préfet de région compétent en matière de pêche maritime en aval de la limite de salure des eaux ». Aux termes de l’article R. 436-63 du même code : « Pour assurer la bonne gestion et la conservation des poissons migrateurs autres que l’anguille, le préfet de région, président du comité de gestion des poissons migrateurs, peut fixer, pour une année civile, par bassin ou par cours d’eau ou groupe de cours d’eau, une limitation de pêche selon les modalités fixées par le plan de gestion. /Lorsque la limite est atteinte, ce préfet le constate par un arrêté qui entraîne interdiction de poursuivre la pêche pour le bassin, pour le cours d’eau ou le groupe de cours d’eau. ».
-
En premier lieu, le plan de gestion des poissons migrateurs (PLAGEPOMI) 2022-2027 du bassin Rhône-Méditerranée approuvé par l’arrêté contesté, pris en application des dispositions précitées de l’article R. 436-45 du code de l’environnement, a pour objectif général la préservation et la reconquête durable des populations de poissons migrateurs amphihalins dans le bassin Rhône-Méditerranée. Il constitue, comme le rappelle ce plan, le document de référence en matière de gestion des poissons migrateurs par bassin. Le contenu de ce document est ainsi défini par cet article R. 436-45 qui prévoit notamment que ce plan détermine par bassin, par cours d’eau ou par groupe de cours d’eau, un certain nombre d’éléments en matière de gestion de la pêche dont les conditions dans lesquelles sont fixées les périodes d’ouverture de la pêche et les modalités de la limitation éventuelle des pêches, qui peuvent être adaptées en fonction des caractéristiques propres à la pêche professionnelle et à la pêche de loisir. C’est dans ce cadre, au regard de son objet et de ses objectifs ainsi définis par le code de l’environnement, que le plan de gestion des poissons migrateurs (PLAGEPOMI) 2022-2027 du bassin Rhône-Méditerranée approuvé par l’arrêté contesté a, au titre de son orientation 2, décidé la poursuite de la gestion des pêches, amateur et professionnelle, en indiquant notamment la réglementation relative à la pêche de l’alose feinte et de la lamproie marine applicable qui est que la pêche de ces deux espèces est autorisée en eau douce du second samedi de mars au 3ème dimanche de septembre, une demi–heure avant le coucher du soleil et jusqu’à une demi-heure après le coucher du soleil. La préfète fait valoir que le plan se borne à rappeler la règlementation nationale applicable à la pêche en eau douce de ces deux espèces concernant les périodes et heures de pêche ainsi que la taille minimale des poissons, telle qu’elles résultent du code de l’environnement, et que ce plan n’a pas pour objet ou pour effet d’autoriser la pêche de l’alose feinte et de la lamproie marine. Toutefois eu égard à l’objet, aux objectifs, au contenu et à la portée du plan de gestion des poissons migrateurs concernant particulièrement les conditions et modalités de pêche de ces deux espèces, tels qu’ils résultent des dispositions de l’article R. 436-45 du code de l’environnement, ainsi que des articles R. 436-57 et R. 436-63 de ce code, et même si suite aux orientations de ce plan des mesures peuvent être prises au niveau départemental ou régional, ce plan a ainsi décidé de retenir les conditions d’ouverture de la pêche définies au niveau national sans prévoir de prescriptions supplémentaires concernant les conditions dans lesquelles sont fixées les périodes d’ouverture de la pêche et des modalités spécifiques de limitation de ces pêches. Compte tenu de ces éléments, la préfète du Rhône ne saurait donc soutenir en défense que les requérantes ne seraient pas recevables à présenter une requête au fond tendant à solliciter l’annulation de cet arrêté approuvant ce plan de gestion en ce qu’il porte sur la pêche de l’alose feinte et de la lamproie marine, sans prévoir de modalités de limitation de ces pêches de nature à assurer la conservation de ces deux espèces dans le bassin concerné, ni ainsi faire valoir que la présente requête en référé serait de ce fait irrecevable et devrait être pour ce motif rejetée.
-
En second lieu, tout d’abord, compte tenu de son objet et de son contenu tels que définis par l’article R. 436-45 du code de l’environnement, le plan de gestion des poissons migrateurs est au nombre des documents de planification visés par le 1° de l’article L. 414-4 de ce code quand, dans le périmètre qu’il définit, est inclus un site désigné Natura 2000. Dans ces conditions, il résulte de la combinaison des dispositions du I et du IV bis de l’article L. 414-4 du code de l’environnement, que l’établissement d’un tel plan de gestion, qui ne relève pas des catégories particulières de documents et plans mentionnés aux II, III et IV de cet article, est soumis à évaluation préalable de ses incidences au regard des objectifs de conservation des sites Natura 2000 inclus dans son périmètre lorsqu’il est susceptible d’affecter de manière significative les espèces à la protection desquelles ces sites sont dédiés.
-
Ensuite, s’agissant de la lamproie marine, il apparaît que les adultes de la lamproie marine, espèce de poissons migrateurs vivant dans les eaux côtières, effectuent, en hiver /début du printemps, leur migration de reproduction en eau continentale afin d’atteindre les frayères, la ponte ayant lieu d’avril à juin-juillet dans le cours inférieur des fleuves, les géniteurs mourant après la reproduction. Il résulte notamment des écritures en défense que les larves, après l’éclosion, migrent ensuite vers des zones sablo-limoneuses où elles s’enfouissent pour y poursuivre leur croissance durant quatre à six années avant de regagner la mer. Il apparaît également que cette espèce est considérée, selon les éléments produits et notamment le PLAGEPOMI, comme présente sur dix sites Natura 2000 situés dans le bassin Rhône- Méditerranée, soit deux sites en région Auvergne-Rhône-Alpes, cinq sites en Occitanie et trois sites en Provence-Alpes-Côte-D’azur. Cinq de ces sites sont des sites à enjeux, soit les trois aires dénommées « Le Rhône Aval », « La Camargue », « Embouchure de l’Argens » situées dans la région Provence-Alpes-Côte-D’azur et les deux aires « Le petit Rhône » et « Cours inférieur de l’Aude » situées en Occitanie. Il résulte notamment du PLAGEPOMI ainsi que des formulaires standard de données Natura 2000, que la lamproie marine, qui était une espèce très commune sur la vallée du Rhône jusque dans les années 1950, a connu depuis une forte régression tant en termes d’abondance (taille de la population) que d’aire de répartition, que la population reste à un très bas niveau mais n’a toutefois pas disparu dès lors que des individus sont régulièrement observés, que son abondance est qualifiée de rare dans ces aires, et qu’elle est considérée par l’UICN ainsi comme une espèce au niveau national « en danger d’extinction », les données disponibles étant considérées comme insuffisantes. Eu égard à ces éléments sur la situation critique de la lamproie marine et alors que la pêche ne peut que mettre davantage en péril cette espèce, les effets de l’arrêté approuvant le PLAGEPOMI décidant la poursuite de la gestion des pêches entre mars et septembre selon les modalités définies ci-dessus sont susceptibles d’affecter de manière significative l’évolution de cette espèce au sein des sites Natura 2000 précités, alors même que l’administration fait état de ce que les indices de présence de cette espèce est tenue et que la méthode de détection de cette espèce dépend pour partie des remontées d’information des pêcheurs pour l’essentiel non professionnels, que le nombre de pêcheurs amateurs serait en diminution, que l’activité des pêcheurs professionnels serait limitée en raison de leur faible nombre, qu’aucune cible de la lamproie marine n’aurait été relevée compte tenu de sa rareté, et que des mesures sont prises en matière de continuité écologique.
-
En outre, s’agissant de l’alose feinte de méditerranée, il apparaît également que cette espèce est seulement présente dans ce bassin Rhône-Méditerranée, qu’elle commence sa migration de reproduction vers les fleuves en mars, depuis la mer, qui dure tout le printemps, et rejoint les zones de frayères (tronçon de rivières courantes sur graviers et galets) pour s’y reproduire de mai à juillet, la dévalaison des juvéniles pour rejoindre la mer se produisant de mi- juin à octobre, ces poissons restant en mer jusqu’à leur maturité sexuelle. Il apparaît également que cette espèce est considérée comme présente sur plusieurs sites Natura 2000 situés dans le bassin Rhône-Méditerranée, dont selon le PLAGEPOMI 4 sites à enjeux en région Auvergne- Rhône-Alpes, dénommés « Basse Ardèche urgonienne », « Moyenne vallée de l’Ardèche et ses affluents- pelouses du plateau des Gras », « Milieux alluviaux du Rhône aval », et « Forêts alluviales, rivière et gorges de l’Eygue », 6 sites à enjeux en Occitanie dénommés « Le Vidourle », « Le Petit Rhône », « Posidonies du cap d’Agde », « Cours inférieur de l’Aude », « Complexe lagunaire de Salses », « Cours inférieur de l’Hérault », et 6 sites à enjeux Provence- Alpes-Côte-d’Azur intitulés « Rivière et gorges du Loup », « La Durance », « Le Rhône aval (FR9301590) », « Camarguer », « Marais de la vallée des Baux et marais d’Arles » et « Embouchure de l’Argens ». Il résulte notamment du PLAGEPOMI qu’en terme d’abondance, « alors que les populations semblaient se maintenir voire se développer jusqu’aux années 2010- 2011, les indices de suivis des dix dernières années sont très contrastés », le plan relevant qu’il y a lieu ainsi de « rester très prudents quant à l’état de la population ». Ce même document précise que « les captures par pêcherie à la ligne sont relativement stables, mais le suivi de la reproduction connaît une évolution plus alarmiste avec un nombre de bulls historiquement bas voire nul sur les stations amont du bassin rhodanien », en notant, concernant les données disponibles, que « Les vidéocomptages aux passes à poissons sont trop récents pour compléter l’analyse, mais ils seront une source complémentaire d’informations pour les années à venir ». Par ailleurs, il apparaît également que l’alose feinte de méditerranée est considérée par l’UICN comme une espèce « quasi menacée » et que lors d’une première évaluation faite en 2018 concernant notamment cette espèce, il a été relevé que l’alose feinte, comme d’ailleurs la lamproie marine, n’atteint pas le « bon état écologique ». Ensuite, concernant les effets de la pêche, il résulte notamment du PLAGEPOMI que, sur le bassin Rhône-Méditerranée, la pêche aux poissons migrateurs est orientée accessoirement sur l’alose feinte de méditerranée, que cette pêche représentait en moyenne 3,5 tonnes/an d’aloses mises en ventes dans les criées méditerranéennes (2015 à 2019) et qu’entre 2016 et 2017, environ 1 500 aloses avaient été ainsi recensées comme pêchées sur le Rhône et 300 sur l’Aude, données qui résultent des remontées d’informations. Toutefois, concernant ces données disponibles relatives à la pêche de l’alose feinte, la pression de la pêche et l’état de conservation de ces poissons, ce même document a relevé la nécessité de poursuivre « le suivi de l’évolution des quantités pêchées afin d’évaluer la pression de pêche, mais aussi pour contribuer à l’estimation des stocks de poissons migrateurs à partir des quantités capturées ». Eu égard à ces éléments sur la situation et l’évolution au cours de ces dernières années de l’état de conservation de l’alose feinte et sur la pêche de cette espèce, les effets de l’arrêté approuvant le PLAGEPOMI décidant la poursuite de la gestion des pêches de cette espèce entre mars et septembre selon les modalités définies ci-dessus sont susceptibles d’affecter de manière significative l’évolution de cette espèce au sein des sites Natura 2000 précités, alors même que l’administration fait valoir que les activités de pêche professionnelle ne viseraient pas ce poisson et qu’il ne s’agirait selon elle pour cette pêche professionnelle que de captures accessoires, que la méthode de détection de cette espèce dépendrait pour partie des remontées d’information des pêcheurs pour l’essentiel non professionnels, que le Covid aurait pu affecter les remontées de données au cours de cette période, que le nombre de pêcheurs amateurs serait en diminution, et que des mesures sont prises en matière de continuité écologique.
-
Enfin, il n’est pas contesté que le PLAGEPOMI n’a pas été préalablement soumis à une évaluation de ses incidences sur la conservation desdits sites Natura 2000.
-
Dans ces conditions les associations requérantes sont fondées à demander, en application des dispositions précitées de l’article L. 122-11 du code de l’environnement, auquel renvoie le IX de l’article L. 414-4, la suspension de l’exécution de l’arrêté n°2022-43 du 1er mars 2022 du préfet de la région Auvergne-Rhône-Alpes et du département du Rhône portant approbation du plan de gestion des poissons migrateurs (PLAGEPOMI) 2022-2027 du bassin Rhône-Méditerranée en tant qu’il porte sur la pêche de l’alose feinte et la lamproie marine, jusqu’à ce qu’il soit statué sur la requête au fond.
Sur les conclusions à fin d’injonction :
- Alors que la présente ordonnance suspend ainsi à titre provisoire, jusqu’à ce que le tribunal statue sur la requête au fond, l’exécution de l’arrêté portant approbation du PLAGEPOMI en tant qu’il porte sur la pêche de l’alose feinte et de la lamproie marine jusqu’à ce qu’il soit statué sur la requête au fond, il n’est pas fait droit aux conclusions aux fins d’injonction présentées par les associations requérantes que l’ordonnance n’implique pas nécessairement. Par suite, sans qu’il soit besoin de statuer sur la fin de non-recevoir opposée par la préfète, les conclusions à fin d’injonction doivent être rejetées.
Sur les conclusions relatives aux frais de l’instance :
- Dans les circonstances de l’espèce, il n’y a pas lieu de mettre à la charge de l’Etat la somme dont l’association Défense des milieux aquatiques (DMA), la Fédération départementale des pêches du département du Vaucluse et, en tout état de cause, l’association «Silurus Glanis» (SGA), demandent le versement sur le fondement de l’article L. 761-1 du code de justice administrative
ORDONNE :
Article 1er : L’exécution de l’arrêté n°2022-43 du 1er mars 2022 de la préfète de la région Auvergne-Rhône-Alpes portant approbation du plan de gestion des poissons migrateurs (PLAGEPOMI) 2022-2027 du bassin Rhône-Méditerranée est suspendu en tant qu’il porte sur la pêche de l’alose feinte et la lamproie marine, jusqu’à ce qu’il soit statué sur la requête au fond.
Article 2^ : Le surplus des conclusions de la requête en référé est rejeté.
Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée à l’association Défense des milieux aquatiques (DMA), représentante unique des requérantes, à la ministre de la transition énergétique, et à la préfète coordonnatrice du Bassin Rhône-Méditerranée, préfète de la région Auvergne-Rhône- Alpes et du département du Rhône.
Fait à Lyon le 3 avril 2023.
Le juge des référés,
J. Segado
La greffière,
C. Driguzzi
La République mande et ordonne à la ministre de la transition énergétique en ce qui la concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l’exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme, Un greffier,