TRIBUNAL ADMINISTRATIF DE BORDEAUX N° 2105947
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ASSOCIATION DEFENSE DES MILIEUX AQUATIQUES
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Mme Frédérique Munoz-Pauziès Présidente rapporteure
M. Guillaume Naud Rapporteur public
Audience du 4 mai 2023 Décision du 16 mai 2023
D
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
Le tribunal administratif de Bordeaux
(4ème chambre)
Vu la procédure suivante :
Par une requête et des mémoires, enregistrés les 10, 12 et 16 novembre 2021, 30 juin, 3 août, 29 septembre et 3 octobre 2022, et un mémoire récapitulatif, enregistré le 1er février 2023, l’Association Défense des Milieux Aquatiques et Sea Shepherd France, représentées par Me Crecent, demandent au tribunal :
1°) d’annuler la décision implicite du préfet de la Gironde de rejet de leur demande tendant à l’interdiction de la pratique de toute forme de chasse sur tout le territoire de l’aire Natura 2000 FR7212018 –Bassin d’Arcachon et banc d’Arguin et à la mise en œuvre d’une évaluation des incidences ;
2°) d’enjoindre au préfet de la Gironde :
- d’interdire la pratique de la chasse sur tout le territoire de l’aire Natura 2000 FR7212018 –Bassin d’Arcachon et banc d’Arguin ;
- d’ordonner la destruction de l’ensemble des tonnes de chasse et des pantes situées à proximité des réserves, celles situées au sein de la zone Natura 2000 et saisir le juge pénal des suites de la violation de la réglementation d’urbanisme ;
- de procéder à la dépollution des « lacs de tonnes » et de l’ensemble des zones polluées par le matériel utilisé pour la création des tonnes de chasse et des pantes ;
- d’étendre la protection à la zone d’importance pour la conservation des oiseaux (ZICO) ;
- de transmettre les comptes-rendus des activités de contrôle des activités de chasse sur les zones protégées ;
- de mettre en œuvre les évaluations des incidences sur l’ensemble de l’aire ;
3°) de mettre à la charge de l’Etat une somme de 2 000 euros en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elles soutiennent que :
- leur requête est recevable ;
- la décision est insuffisamment motivée ;
- la décision méconnait l’article 6 al. 2 de la directive habitat, les articles 3 et 4 de la directive Oiseaux et l’article L. 414-4 du code de l’environnement, dès lors que la chasse dans la zone en cause a des effets significatifs sur le maintien dans un état de conservation favorable des habitats naturels et des espèces ; sur les 8 espèces protégées au titre de la zone de protection spéciale (ZPS), 6 espèces font l’objet d’une autorisation de chasse alors que leur état de conservation est préoccupant ; le bruit généré par les coups de feu provoque un effarouchement des oiseaux ; la chasse porte atteinte à l’unité fonctionnelle constituée de l’association zones de repos/zones de nourrissage, dégrade les habitats naturels, provoque une pollution au plomb des projectiles ; les « tonnes » de chasse détériorent les habitats ; ces perturbations se cumulent avec celles créées par le réchauffement climatique ; il n’y a aucune mesure efficace pour lutter contre ces perturbations ;
- le préfet n’a procédé à aucune évaluation des incidences Natura 2000, en méconnaissance de l’article 6 al. 3 de la directive habitat et de l’article L. 414-4 du code de l’environnement ;
- le principe de précaution a été méconnu ;
- les zones ZICO situées en dehors de la ZPS actuelles auraient dû être classées en ZPS ; il n’a pas été constitué de réseau cohérent et conforme aux constations scientifiques, en violation des engagements européens de la France.
Par un mémoire en défense, enregistré le 17 mai 2022, la préfète de la Gironde conclut au rejet de la requête et fait valoir que les moyens soulevés ne sont pas fondés.
Par des mémoires en intervention, enregistrés les 17 mai, 31 août et 2 décembre 2022, la fédération départementale des chasseurs de la Gironde représentée par Me Lagier conclut au rejet de la requête et fait valoir que :
- son intervention est recevable :
- la requête est irrecevable, dès lors que les associations requérantes, qui sont dépourvues d’agrément au titre du code de l’environnement, ont un champ d’intervention national et sont donc dépourvues d’intérêt pour agir à l’encontre d’une mesure locale ;
- la requête et irrecevable, dès lors que la requête et le premier mémoire, enregistrés les 9 et 12 novembre 2021, ne comprenaient qu’une page consacrée à la discussion de la légalité de la décision attaquée, en méconnaissance de l’article R. 411-1 du code de justice administrative, et que le mémoire ampliatif du 16 novembre 2021, qui fait plus de 120 pages, est postérieur à l’expiration du délai de recours contentieux ;
- la requête n’est pas fondée.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la charte de l’environnement ;
- la directive 92/43/CEE du Conseil du 21 mai 1992 ;
- la directive 79/409/CEE du Conseil :
- la directive 2009/147/CE du Parlement et du Conseil du 30 novembre 2009 ;
- le code de l’environnement ;
- l’arrêté du 6 janvier 2005 portant désignation du site Natura 2000 du bassin d’Arcachon banc d’Arguin (zone de protection spéciale) ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.
Ont été entendus au cours de l’audience publique :
- le rapport de Mme Munoz-Pauziès,
- les conclusions de M. Naud, rapporteur public,
- les observations de Me Crecent, représentant les associations requérantes, celles de M. Garcia pour l’association de défense des milieux aquatiques ;
- et celles de Me Lagier pour la fédération départementale des chasseurs de la Gironde.
Les associations requérantes ont produit une note en délibéré, enregistrée le 5 mai 2023.
Considérant ce qui suit :
- Par courrier reçu par les services de la préfecture le 9 juillet 2021, l’association Défense des milieux aquatiques et l’association Sea sheperd France ont demandé à la préfète de la Gironde d’interdire la pratique de toute forme de chasse sur tout le territoire de l’aire Natura 2000 FR7212018 –Bassin d’Arcachon et banc d’Arguin et de mettre en œuvre une évaluation des incidences de la pratique de la chasse. Les associations requérantes demandent l’annulation de la décision implicite de rejet opposée à leur demande.
Sur l’intervention de la fédération départementale des chasseurs de la Gironde :
- La fédération départementale des chasseurs de la Gironde justifie d’un intérêt suffisant au maintien de la décision attaquée. Ainsi, son intervention à l’appui de la défense de la préfète de la Gironde est recevable.
Sur la recevabilité de la requête :
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En premier lieu, en principe, le fait qu’une décision administrative ait un champ d’application territorial fait obstacle à ce qu’une association ayant un ressort national justifie d’un intérêt lui donnant qualité pour en demander l’annulation. Il peut toutefois en aller autrement lorsque la décision soulève, en raison de ses implications, des questions qui, par leur nature et leur objet, excèdent les seules circonstances locales.
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Aux termes de l’article 2 de ses statuts, l’association Défense des milieux aquatiques a pour objet « d’agir pour la défense, la protection et la conservation de l’intégralité du milieu aquatique naturel en général, plus particulièrement marin et de toutes les espèces dépendantes de ce milieu tels que par exemple les poissons, et tous les organismes connus ou à découvrir sans exception, y compris les mammifères marins, les reptiles, les oiseaux, mais aussi les habitats concernés. / Dans ce but, elle peut agir à plusieurs niveaux : / 1) défendre toutes les espèces et les écosystèmes dépendants du milieu aquatique et leurs habitats respectifs, sans discrimination concernant leur état de conservation ou leur statut juridique / 2) œuvrer pour faire appliquer strictement les lois et règlements relatifs à ces situations / 3) participer à l’amélioration constante de toutes les dispositions juridiques qui bénéficient aux milieux aquatiques / 4) sensibiliser les citoyens par la publication numérique des actions et des motivations de l’association (site internet, réseaux sociaux) / 5) la lutte de toutes discriminations, dans le cadre de son objet ». Si l’association a son siège en Gironde, aucune stipulation des statuts ni aucune autre pièce du dossier ne permet de définir le périmètre d’action de l’association. Par suite, à la date d’introduction de la requête, l’association Défense des milieux aquatiques doit être regardée comme ayant un ressort national.
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Aux termes de l’article 2 de ses statuts, l’association Sea Sheperd France a pour objet « - de faire progresser l’éducation dans le domaine de l’écologie, notamment, mais non exclusivement marine et de l’eau, / - de promouvoir la conservation et la préservation des organismes vivants, notamment, mais non exclusivement, aquatiques, / de promouvoir une éthique humaine à l’égard des animaux, notamment, mais non exclusivement, des mammifères marins, / de défendre le droit des générations futures à un environnement sain, / de participer à la préservation, à la protection et à la gestion de ce patrimoine commun de l’Humanité, que constituent l’environnement et la biodiversité, / - de soutenir par tous moyens, toute autre organisation caritative œuvrant en ce sens (…), / de défendre et représenter y compris en justice notamment les victimes directes ou indirectes des atteintes environnementales et/ou animales (…) ». Son siège est à Paris, et aucune stipulation des statuts ni aucune autre pièce du dossier ne permet de définir le périmètre d’action de l’association. Par suite, elle doit également être regardée comme ayant un ressort national.
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Toutefois, les associations requérantes soutiennent que la décision attaquée est susceptible d’avoir des effets notables sur la population de six espèces protégées au niveau national et européen et vivant dans le site Natura 2000 du bassin d’Arcachon et du banc d’Arguin. Elles soulèvent ainsi des questions qui, par leur nature et leur objet, excèdent les seules circonstances locales. Par suite, elles doivent être regardées comme justifiant d’un intérêt leur donnant qualité pour agir contre la décision litigieuse.
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En second lieu, aux termes de l’article R. 411-1 du code de justice administrative : « La juridiction est saisie par requête. La requête indique les nom et domicile des parties. Elle contient l’exposé des faits et moyens, ainsi que l’énoncé des conclusions soumises au juge. / L’auteur d’une requête ne contenant l’exposé d’aucun moyen ne peut la régulariser par le dépôt d’un mémoire exposant un ou plusieurs moyens que jusqu’à l’expiration du délai de recours. »
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La requête et le mémoire enregistrés les 9 et 12 novembre 2021, avant l’expiration du délai de recours contentieux, comprennent l’énoncé d’un moyen de légalité externe, tiré du défaut de motivation de la décision attaquée, et des moyens de légalité interne. Dès lors, la requête respecte les prescriptions de l’article R. 411-1 du code de justice administrative.
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En troisième lieu, après l’expiration du délai de recours contre un acte administratif, sont irrecevables, sauf s’ils sont d’ordre public, les moyens soulevés par le demandeur qui relèvent d’une cause juridique différente de celle à laquelle se rattachent les moyens invoqués dans sa demande avant l’expiration de ce délai.
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La fédération départementale des chasseurs de la Gironde fait valoir que le mémoire enregistré le 16 novembre 2021, après l’expiration du délai de recours contentieux, comprend de très nombreux moyens nouveaux et donc irrecevables. Toutefois, d’une part, le recours administratif du 9 juillet 2021 n’ayant pas fait l’objet de l’accusé de réception prévu à l’article L. 112-3 du code des relations entre le public et l’administration, le délai de recours contentieux à l’expiration duquel les nouveaux moyens n’étaient pas recevables n’a commencé à courir qu’à la date d’enregistrement de la requête le 9 novembre 2021, et n’était donc pas expiré le 16 novembre suivant. D’autre part, la requête et le mémoire enregistrés les 9 et 12 novembre 2021 soulevant des moyens de légalité externe et de légalité interne, les moyens soulevés le 16 novembre 2021 ne peuvent en tout état de cause être regardés comme se rattachant à une cause juridique différente.
Sur la légalité de la décision attaquée :
En ce qui concerne la légalité externe :
S’agissant de la motivation
- La décision contestée, par laquelle la préfète de la Gironde refuse d’édicter un acte réglementaire, n’appartient à aucune des catégories de décisions qui doivent être motivées. Par suite, le moyen tiré de son défaut de motivation doit être écarté comme inopérant.
S’agissant de l’évaluation des incidences Natura 2000
- Aux termes de l’article 6.3 l’article 2 de la directive 92/43/CEE du 21 mai 1992, dite directive « Habitats » : « Tout plan ou projet non directement lié ou nécessaire à la gestion du site mais susceptible d’affecter ce site de manière significative, individuellement ou en conjugaison avec d’autres plans et projets, fait l’objet d’une évaluation appropriée de ses incidences sur le site eu égard aux objectifs de conservation de ce site (…) ». Aux termes de l’article L. 414-4 du code de l’environnement : « I. Lorsqu’ils sont susceptibles d’affecter de manière significative un site Natura 2000, individuellement ou en raison de leurs effets cumulés, doivent faire l’objet d’une évaluation de leurs incidences au regard des objectifs de conservation du site, dénommée ci-après ” Evaluation des incidences Natura 2000 ” : / 1° Les documents de planification qui, sans autoriser par eux-mêmes la réalisation d’activités, de travaux, d’aménagements, d’ouvrages ou d’installations, sont applicables à leur réalisation ; / 2° Les programmes ou projets d’activités, de travaux, d’aménagements, d’ouvrages ou d’installations ; / 3° Les manifestations et interventions dans le milieu naturel ou le paysage. (…) ».
- La décision contestée par laquelle la préfète de la Gironde a implicitement rejeté la demande des associations requérantes, tendant à ce qu’elle interdise toute forme de chasse au sein du site Natura 2000 du bassin d’Arcachon et du banc d’Arguin ne porte pas sur un document de planification, un programme ou projet d’activité ou de travaux ou encore une manifestation ou intervention au sens de ces dispositions. Par suite, le moyen tiré de l’absence d’évaluation des incidences Natura 2000 doit être écarté.
En ce qui concerne la légalité interne :
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En premier lieu, et d’une part, aux termes de l’article 6.2 de la directive 92/43/CEE du 21 mai 1992 : « Les États membres prennent les mesures appropriées pour éviter, dans les zones spéciales de conservation, la détérioration des habitats naturels et des habitats d’espèces ainsi que les perturbations touchant les espèces pour lesquelles les zones ont été désignées, pour autant que ces perturbations soient susceptibles d’avoir un effet significatif eu égard aux objectifs de la présente directive. » Aux termes de l’article L. 414-1 du code de l’environnement : « (…) V. Les sites Natura 2000 font l’objet de mesures destinées à conserver ou à rétablir dans un état favorable à leur maintien à long terme les habitats naturels et les populations des espèces de faune et de flore sauvages qui ont justifié leur délimitation. Les sites Natura 2000 font également l’objet de mesures de prévention appropriées pour éviter la détérioration de ces mêmes habitats naturels et les perturbations de nature à affecter de façon significative ces mêmes espèces. / Ces mesures sont définies en concertation notamment avec les collectivités territoriales intéressées et leurs groupements concernés ainsi qu’avec des représentants de propriétaires, exploitants et utilisateurs des terrains et espaces inclus dans le site. / Elles tiennent compte des exigences économiques, sociales, culturelles et de défense, ainsi que des particularités régionales et locales. Elles sont adaptées aux menaces spécifiques qui pèsent sur ces habitats naturels et sur ces espèces. Elles ne conduisent pas à interdire les activités humaines dès lors qu’elles n’ont pas d’effets significatifs sur le maintien ou le rétablissement dans un état de conservation favorable de ces habitats naturels et de ces espèces. (…) ».
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D’autre part, aux termes de l’article 7 de la directive 2009/147/CE du Parlement et du Conseil du 30 novembre 2009, dite directive « Oiseaux » : « 1. En raison de leur niveau de population, de leur distribution géographique et de leur taux de reproductivité dans l’ensemble de la Communauté, les espèces énumérées à l’annexe II peuvent faire l’objet d’actes de chasse dans le cadre de la législation nationale. Les États membres veillent à ce que la chasse de ces espèces ne compromette pas les efforts de conservation entrepris dans leur aire de distribution. (…) ».
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Enfin, aux termes de l’article 5 de la charte de l’environnement : « Lorsque la réalisation d’un dommage, bien qu’incertaine en l’état des connaissances scientifiques, pourrait affecter de manière grave et irréversible l’environnement, les autorités publiques veillent, par application du principe de précaution et dans leurs domaines d’attributions, à la mise en œuvre de procédures d’évaluation des risques et à l’adoption de mesures provisoires et proportionnées afin de parer à la réalisation du dommage ».
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En l’espèce, il ressort des pièces du dossier, et notamment du formulaire standard de données relatif au site Natura 2000 bassin d’Arcachon et banc d’Arguin, que le bassin d’Arcachon est une zone de reproduction, d’alimentation et d’abri pour l’avifaune marine, en raison de la présence de la plus grande surface d’Europe d’herbiers à zostères, d’une biodiversité importante de mollusques et de crustacés, et de la présence de dunes hydrauliques sous-marines et de bancs découverts, de zones de frayères et de nurseries de poissons. La lagune abrite une importante communauté d’oiseaux d’eau d’origine européenne (100 000 oiseaux d’eau) pendant l’hiver, et le Banc d’Arguin est classé dans la catégorie des secteurs sensibles pour le développement et la croissance de certaines de ces espèces pendant la saison estivale. Le site comprend de nombreuses espèces d’oiseaux, dont certaines sont protégées au titre de l’article 7 de la directive 2009/147/CE du Parlement et du Conseil du 30 novembre 2009 concernant la conservation des oiseaux sauvages et de l’annexe II à cette directive. Ainsi que le soutient la préfète, certaines de ces espèces, telles que le canard colvert (Anas platyrhynchos), sont, d’après le formulaire standard de données, dans un état de conservation excellent ou bon.
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Toutefois, il ressort de la liste rouge des espèces menacées en France établie par le comité français de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), que parmi les espèces protégées au titre de l’article 7 de la directive « Oiseaux » présentent sur le site Natura 2000, une espèce est quasi-menacée, le râle d’eau (Rullus aquaticus), trois sont vulnérables, le fuligule milouin (Aythya ferina), l’oie cendrée (Anser anser) et le courlis cendré (Numenius arquata), et enfin une espèce est en danger critique d’extinction, la bécassine des marais (Gallinago gallinago). Les résultats synthétiques du rapport sur l’état de conservation des espèces d’oiseaux sauvages 2019 établi pour la France dans le cadre de la directive « Habitats » montre, s’agissant de cinq espèces présentes sur le site Natura 2000, une tendance à court et à long terme à la baisse des effectifs très préoccupante : il s’agit de la bécassine des marais (Gallinago gallinago), du chevalier combattant (Calidris pugnax, anciennement Philomachus pugnax), du courlis corlieu (Numenius phaeopus, de la fuligule milouin (Aythya ferina) et du râle d’eau (Rallus aquaticus). Ainsi, parmi les espèces d’oiseaux protégées présentes sur le site Natura 2000 du bassin d’Arcachon banc d’Arguin, sept sont dans un état de conservation préoccupant : le râle d’eau (Rullus aquaticus), le fuligule milouin (Aythya ferina), l’oie cendrée (Anser anser), le courlis cendré (Numenius arquata), le courlis corlieu (Numenius phaeopus), la bécassine des marais (Gallinago gallinago) et le chevalier combattant (Calidris pugnax). En revanche, s’agissant du fuligule morillon (Aythya fuligula), la tendance à court terme des effectifs est à la hausse.
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La préfète de la Gironde soutient que la pratique de la chasse n’est pas à l’origine des menaces qui pèsent sur les espèces et ne compromet pas les efforts de conservation. Il ressort à cet égard des pièces du dossier, et notamment de l’étude d’incidence de l’impact de la chasse sur le domaine public maritime, réalisée dans le cadre du renouvellement du bail de chasse sur le domaine public maritime du bassin d’Arcachon, que le nombre de chasseurs a fortement diminué ces dernières années, passant de 1 026 en 2005 à 600 en 2014, et que le linéaire chassable a également diminué de 31 % sur la même période. La pression exercée par la chasse sur les espèces présentes sur le site est donc en nette diminution depuis une quinzaine d’années. Les espèces les plus prélevées sont la sarcelle d’hiver, le canard siffleur, le canard souchet, le canard colvert, le canard pilet et le canard chipeau, espèces en bon état de conservation sur le site. Si les associations requérantes font valoir que la pratique de la chasse d’août à janvier provoque le piétinement de la végétation et l’effarouchement des oiseaux en raison du bruit des détonations, toutefois, l’entretien des tonnes de chasses et des micro-lagunes creusées dans les prés salés, au nombre de cent-quatre- vingt-onze, permet de constituer des lieux d’alimentation, des zones nourricières et des sites de repos pour les haltes migratoires. De même, rien ne vient étayer les affirmations des associations requérantes selon lesquelles la pollution due au plomb des projectiles constituerait un risque pour les espèces animales vivant sur le bassin. Ainsi, en ne prononçant pas une interdiction générale de la chasse sur le site Natura 2000 du bassin d’Arcachon et du banc d’Arguin, la préfète de la Gironde n’a pas méconnu les dispositions et principes rappelées aux points 14 à 16.
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En revanche, s’agissant des sept espèces mentionnées au point 18, qui sont dans un état de conservation préoccupant, la chasse dans une zone Natura 2000 affectée à leur protection est susceptible d’avoir des effets significatifs sur leur rétablissement dans un état de conservation favorable. Par suite, la décision contestée doit être annulée en tant qu’elle refuse d’interdire la chasse dans la zone Natura 2000 du bassin d’Arcachon et du banc d’Arguin du râle d’eau (Rullus aquaticus), du fuligule milouin (Aythya ferina), de l’oie cendrée (Anser anser), du courlis cendré (Numenius arquata), du courlis corlieu (Numenius phaeopus), de la bécassine des marais (Gallinago gallinago) et du chevalier combattant (Calidris pugnax, anciennement Philomachus pugnax).
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En second lieu, le moyen tiré de ce que les zones d’importance pour la conservation des oiseaux (ZICO) situées en dehors de la zone de protection spéciale (ZPS) Natura 2000 devraient être intégrées à cette zone est sans influence sur la légalité de la décision attaquée, laquelle se borne à rejeter la demande des associations requérantes tendant à l’interdiction de la pratique de toute forme de chasse sur tout le territoire de l’aire Natura 2000 bassin d’Arcachon et banc d’Arguin. Il en va de même du moyen tiré de ce que la France n’aurait pas constitué de réseau cohérent et conforme aux constations scientifiques, en méconnaissance du huitième considérant de la directive 79/409/CEE du Conseil concernant la conservation des oiseaux sauvages.
Sur les conclusions aux fins d’injonction :
- Le présent jugement implique seulement que le préfet de la Gironde prenne un arrêté afin d’interdire la chasse des espèces mentionnées au point 20 dans la zone Natura 2000 du bassin d’Arcachon et du banc d’Arguin. Il y a lieu de l’y enjoindre dans un délai de quatre mois à compter de la notification du présent jugement.
Sur les frais de l’instance :
- Dans les circonstances de l’espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l’Etat la somme totale de 1 200 euros au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
Article 1er : L’intervention de la fédération départementale des chasseurs de la Gironde est admise.
Article 2 : La décision implicite du préfet de la Gironde est annulée en tant qu’elle refuse d’interdire la chasse dans la zone Natura 2000 du bassin d’Arcachon et du banc d’Arguin du râle d’eau (Rullus aquaticus), du fuligule milouin (Aythya ferina), de l’oie cendrée (Anser anser), du courlis cendré (Numenius arquata), du courlis corlieu (Numenius phaeopus), de la bécassine des marais (Gallinago gallinago) et du chevalier combattant (Calidris pugnax, anciennement Philomachus pugnax).
Article 3 : Il est enjoint au préfet de la Gironde de prendre un arrêté portant interdiction, dans la zone Natura 2000 du bassin d’Arcachon et du banc d’Arguin, de la chasse aux oiseaux mentionnés à l’article 2, dans le délai de quatre mois à compter de la notification du présent jugement.
Article 4 : L’Etat versera aux associations requérantes la somme totale de 1 200 euros au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 6 : Le présent jugement sera notifié à l’association Défense des milieux aquatiques, à l’association Sea sheperd France, à la fédération départementale des chasseurs de la Gironde et au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires. Une copie en sera adressée au préfet de la Gironde.
Délibéré après l’audience du 4 mai 2023, à laquelle siégeaient :
Mme Munoz-Pauziès, présidente, Mme Lahitte, conseillère, M. Bongrain, conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 16 mai 2023.
La présidente rapporteure,
F. MUNOZ-PAUZIÈS
L’assesseure la plus ancienne dans l’ordre du tableau,
A. LAHITTE
La greffière,
C. SCHIANO
La République mande et ordonne au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l’exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme, La greffière,